criminal minds (rosendo)

Le construct est le sien. Privé, évidemment; l’invitation envoyée au besoin, rendue caduque lorsque le délai est dépassé. Prudent, trop prudent: paranoïaque est plutôt le mot, alors que son compte est protégé derrière un VPN, l’adresse IP faussée, l’avatar jamais modifié du réglage par défaut. Un usager peu à l’aise avec la technologie, ou alors simplement peu concerné; un bot peut-être, comme il en apparaît une fois de temps à autre avant d’être piétinés par TheseusCo. Emile a bidouillé longtemps avant de trouver quelque chose de convenable; le bureau de riche intellectuel lui paraissait convenu et franchement, plutôt cringe; l’espace tout gris avec des cubes pour se poser lui semblait non seulement sépulcral, mais aussi un peu ridicule (soit il essaie trop, soit pas assez); le petit étang avec des canards était beaucoup distrayant (impossible de se concentrer sur une conversation); et finalement, c’est un ciel gris et noir, orageux, un paysage de fin du monde où s’élèvent d’étranges formations rocheuses dont on n’arrive jamais à s’approcher.

C’est insolite, à la fois menaçant et reposant, et d’un vide absolu; et ça lui plaît drôlement. Une créature stérile dans un paysage abyssal.

Il s’y balade plusieurs minutes avant l’heure prévue de sa rencontre avec Chupacabra, comme à l’habitude s’émerveille de l’étrangeté de l’expérience. Une seconde il est assis sur son canapé usé, la suivante il se balade dans un monde post-apocalyptique, si réaliste qu’il croirait vraiment déambuler sur le sable noir et la terre craquelée.

Emile a été mis en contact avec Chupacabra par le biais d’Aurelio, et c’est presque suffisant pour lui faire entièrement confiance. Presque. Il reste toujours cette inquiétude qui ne veut pas partir, cette crainte de se faire rattraper par les corporations pour la vente de plans qui ne viennent pas de leurs laboratoires. Cette fois, au moins, il n’est pas question de plans, ou du moins, pas encore. Rien que du codage, pour remplacer le charabia codé avec les pieds qui régissait les paramètres d’une prothèse sur le marché depuis beaucoup trop longtemps. Il a offert d’y jeter un oeil, mais pas complètement gratuitement – si la cliente a les moyens de se payer les services d’Aurelio, elle a les moyens de mettre quelques centaines de dollars ailleurs pour assurer le bon fonctionnement de ce qui lui permet de respirer. C’est que vivre coûte cher, et qu’il n’est pas tout à fait prêt à abandonner la recherche et vendre son âme (et ses créations) à Theseus.

L’escapade solitaire devient accompagnée presque sans qu’il le réalise; soudainement il y a une silhouette dans son champ de vision, l’avatar si petit dans l’horizon qui s’étend à perte de vue. « Chupacabra. La modulateur de voix extérieur au casque joue sur le timbre, et Emile teinte ses mots d’un accent anglais générique, impossible à rattacher à une région particulière (et surtout pas celle de ses parents). J’espère que le voyage a été agréable. » Non seulement bricoleur mais farceur, en plus de ça. « Merci d’avoir accepté de me rencontrer ici. »

Une rencontre via le Metaworld ; drôle de manière de procédée, drôlement intelligente ceci dit ; au moins cela évite-t-il dans un premier temps les coupes gorges, pour peu qu'ils sont esquivés aussi ensuite. Rosendo est à l'appartement de l'Arcana, le sien, des quartiers privés où il reste parfois quand il n'a pas le courage d'user plus encore ses pieds pour rentrer... Mais en ce jour, c'est différent, parce que s'il reste là c'est pour profiter de la connexion sécurisée, de tout ce qui l'aidera à se connecter sur le construct qu'on a pu lui transmettre. Voilà bien longtemps qu'il n'avait pas revêtu cette apparence, parce qu'il est depuis un moment retiré du marché du Red, qu'il n'a pas cherché des clients depuis longtemps ; si longtemps que ça lui offre un brin de nostalgie tandis qu'il observe le casque qui bientôt l'enverra rêver ; dans un monde fait de pixels qui ne se voient jamais ; qu'il aura bientôt la sensation désagréable que tout est plus insipide en dehors du virtuel. Alors il prend son temps, boit une dernière gorgée de vin avant de reposer le verre et il s'étire, à chantonner sur la musique qu'il a pu mettre ; quelque spas de danse et c'est finalement dans un sourire qu'il renonce à son humanité.


//.......... Connexion en cours
//....... Modification de la voix
//.... Modélisation de l'avatar
//. Bienvenue, Chupacabra


Ce n'est même pas long ; juste une sensation de tomber dans le vide et, voilà, il y est déjà. L'avatar observe les alentours, un bref instant ; allure dérangeante dans un monde si calme et si plat ; Chupacabra ne peut qu'être un peu monstrueux, d'avec des yeux rouges, proches des légendes de son pays ; et il se tourne vers la voix qui l'appelle, observant l'espèce de désert auquel, finalement, il se raccorde bien une fois qu'on y met un brin de vie. "Faraday." La créature se mouve à peine, prend ses aises ; après tout, c'est toujours mieux pour parler affaires. "Il a été fantastique." Et ses manières tranchent d'avec la bête qu'il a choisi pour avatar ; s'en amusera toujours. "Merci à vous de l'invitation." Et pour sa soeur, il accepterait tout ; n'en déplaise aux gens. "C'est charmant, dans le coin. Je m'y sens comme à ma place." Le monstre dévoile quelques dents, dans un sourire tout à fait humain derrière le masque mais qui, ici, semble juste dérangeant.

Mouvement ; léger, comme pour marquer qu'il rentre dans le vif du sujet. "Nous avons été mis en contact par un ami commun... De ce fait, vous avez déjà de ma part une certaine confiance." Parce que pour Aurelio aussi, il pourrait sacrifier sa vie ; ah, ce Cortes et ses idées de ce qu'est être un grand frère. "Vous a-t-il dit ce que je recherche ?" Ne sait pas si Lucero avait déjà été évoqué ; autant faire comme si, pour le moment, c'était pour lui seul qu'il cherchait ça ; ne jamais mettre tout les oeufs dans le même panier.

C’est vraiment ici, formé de pixels, qu’Emile se sent le plus confiant. On ne peut pas le toucher, ici; l’avatar n’existe pas, n’est qu’une ombre dans un monde factice. Il n’a même pas de visage, aucune expression sur la forme humanoïde sans personnalité. C’est plutôt pratique, lorsque le visage démoniaque se fend d’un sourire et que, l’espace d’un instant, il oublie qu’il ne s’agit pas d’un vrai monstre. L’expression affable qu’il se savait afficher, dans le monde réel, tombe un instant; rappel de la dangerosité de ses entreprises, quand bien même il est protégé par un bouclier de pixels. Aurelio lui a garanti que c’était quelqu’un de bien, ce Chupacabra, mais ça ne devrait pas lui faire oublier toute prudence. « J’ai quelques détails. La tête de l’avatar se penche sur le côté, le regard invisible se pose sur les nuages noirs qui les surplombent. Il m’a fait parvenir l’entièreté du code erroné. Lors de.. l’incident, je lui ai fait effacer ce qui causait un problème immédiat. » Et quel bordel ! Probablement codé sur un coin de table pour pouvoir procéder à la vente.  « Je peux m’occuper du reste. » Il peut même faire mieux que ça.

Ça l’emmerde juste de devoir y mettre un prix.

Ils ne discutent pas d’améliorations robotiques pour un quelconque concours, mais bien d’une prothèse qui permet de maintenir une personne en vie. Mais il doit vivre; doit pouvoir payer au minimum les heures passées à la table à dessin, jusqu’au beau milieu de la nuit après avoir fait la correction de copies étudiantes. Il doit payer les matériaux, le matos informatique, tout ce que son maigre salaire de chercheur post-doc n’arrive pas à couvrir. Et pourtant il se voit mal faire payer le gros prix pour quelque chose de si important. Mais ils verront bien, n’est-ce pas ? Peut-être qu’un rien suffira. Peut-être qu’il n’est pas dans la misère, ce client, et qu’il n’aura aucune difficulté à cracher les crédits. Peut-être.
Peut-être aussi qu’il pourrait se défaire de cette saleté de conscience.

 « Il a dû me donner la marque et le modèle pour que je puisse obtenir les spécifications. Il se demande comment amener la suite, opte pour la simplicité: Je pense que je pourrais faire encore plus que juste revamper le code. » Pour un juste prix, semble se terminer la phrase, les mots flottant dans l'air entre les deux avatars.  « Mais il me faudrait plus - beaucoup - plus d’informations. »

L'avatar est imposant ; sans doute est-ce drôle quand on connaît la taille de Rosendo dans la réalité ; sans doute peut-on parler de quelque chose à compenser, pour le coup. Mais Faraday l'ignore ; Faraday est plus à l'aise dans cet univers virtuel. Alors Roz rentre dans le tas, parce qu'il n'a pas le temps, jamais même quand il s'agit du bien être de sa soeur. "Merci encore d'avoir corrigé le problème." Réel soulagement ; c'est que le grand frère qu'il est ne supporterait pas d'échouer sur ce point, même si Lucero ne dépend pas de lui, qu'elle a très longtemps même fait sans sa présence... Mais reste qu'il estime avoir repris ce rôle à la mort de leur père et que jamais plus il ne sera l'absent.

Et Faraday semble vraiment très prometteur. "C'est à dire ?" Il veut savoir exactement ; et puis, hors de question de racheter à la va-vite une prothèse qui pourrait recauser des soucis à Lucero ; préfère plutôt devoir revendre un organe que de laisser le tout survenir à nouveau. "Avant de vous donner toutes les informations, il faut qu'on soit d'accord sur nos termes." Chupacabra se bouge un peu, étant à bouger dans la réalité et faire quelques pas pour réfléchir en même temps. "Je souhaite une prothèse pour elle qui soit pas de la camelote. Il faut que ça soit performant et surtout, surtout... Qu'elle ne manque pas de la tuer du jour au lendemain." Le ton est plus faiblard, face à cette dernière exigence. C'est que Rosendo a été affecté, forcément ; perdre Lucero est la dernière chose au monde qu'il souhaite. "J'y mettrais le prix nécessaire. Mais faut-il que puissiez vous sentir capable de le faire." Si l'autre tremble à l'idée de la faire, Rosendo ne donnera sans doute pas suite ; il ne veut pas reprendre de risque.

Il ne veut plus jamais le prendre.