floatin', but I feel like I'm dyin' (noxy#1)

Une semaine, et elle se demande déjà comment elle a fait pour tenir aussi longtemps. Y a le mégot de sa cigarette écrasé dans le cendrier alors qu'elle se traîne hors de son lit, à observer par les fenêtres de son logement. Il fait nuit, déjà, et chaque seconde qui passe rend ses pensées plus floues, plus difficiles, parce que y a que le manque de cette sensation dans ses veines qui compte. Une nouvelle fois, elle fouille son appartement à la recherche de la moindre dose, mais il n'y a rien, parce qu'elle a déjà tout terminé la semaine dernière. Qu'elle a prit une douche y a même pas une heure pour se dire de se changer les idées, mais ça n'a pas fonctionné. Ranger son appartement et le nettoyer jusque dans les moindres recoins non plus, alors Darcy commence à être à court d'idées. Et en général, c'est dans ses moments là qu'elle craque, et y a qu'à voir comment la pensée s'insinue de plus en plus dans son esprit, qu'elle se voit déjà rejoindre son fournisseur à l'angle de cette fameuse rue, comme souvent le jeudi soir. Elle est incapable de résister plus longtemps, Darcy, alors elle enfile les premiers vêtements qui traînent, prend garde à cacher la totalité de son corps avant de finir par un béret pour coincer son chignon dessous.

Manquerait plus qu'elle croise quelqu'un du groupe de soutient. Son manteau en laine glissé sur ses épaules, Darcy réunit ses derniers billets pour les glisser dans sa poche, à se dire que juste une dose lui suffira, qu'elle arrivera probablement à tenir jusqu'à la semaine prochaine comme ça. Alors qu'elle sait très bien que non, mais c'est beau, de s'en convaincre. Y a ces mèches blondes devant ses yeux qui camouflent un peu son visage, et elle se dit qu'avec la nuit, ce sera bien assez pour la cacher aux yeux des autres, non ? Alors y a ce petit message envoyé, puis ses pieds enfournés dans de vieilles doc martens qui l'emmènent jusque dans les rues les plus sombres de l'Underapple. A chaque pas, elle tente de ne croiser le regard de personne, à se demander si les autres savent ce qu'elle s'apprête à faire, qu'elle a l'impression que ça se lit sur son visage.

Finalement, le coin de rue est atteint, et Darcy s'y engouffre avant d'appuyer son dos contre un mur, à reprendre son souffle tranquillement. Il n'est pas encore arrivé, et elle jette un coup d'œil à son téléphone, mais le message est resté sans réponse, comme souvent. En général, puisqu'il traîne dans le quartier les jeudis soir, il ne répond pas et se contente de juste se pointer à leur spot habituel, celui où elle se trouve. Alors Darcy n'a plus qu'à attendre, et elle sent le sang qui pulse dans ses tempes, d'avec cette appréhension et ce soulagement à venir que de voir le visage arriver dans son champs de vision. Mais les minutes passent, et quand une autre silhouette s'engouffre dans la ruelle, Darcy ne peut que remarquer que ce n'est pas celle tant attendue. Il lui faut quelques secondes pour que les images de son cerveau soient comprises, et elle fronce alors les sourcils en reconnaissant l'un des gars du groupe de soutient. Si quand elle s'y rend, Darcy ne parle jamais, ce n'est pas le cas de celui-là qui ouvre parfois la bouche, même si elle ne se souvient pas de tout.. Mis à part du fait qu'il est supposé être sobre. " ... Salut... ? " Est-ce qu'il l'a suivie ?

TW : drogue, addiction, personne malade évoquée

Et maintenant ?

Ca se dégrade, sa tête, son sang, ses pensées. Le noir qui revient les embaumer, leur donner une allure sauvage qui griffe le fond de cette cervelle. Comme si même les anges l'avaient finalement trop blessé, d'avec leurs airs, leurs ailes, leurs bonnes intentions. C'est qu'à avoir été aimé si fort que toutes ses erreurs en étaient seulement, Nox ne sait plus comment vivre sans ressentir ce regard bienveillant sur lui, qu'il sombre dès lors que la lumière vacille et puis s'éteint. Le choc face à la santé qui se dégrade, ce deuil qui se profile mais qu'il veut renier, parce que Nox n'a jamais été doué pour ça, qu'il veut pas dire adieu aux gens alors qu'il passe sa vie à esquiver l'intimité. Preuve en est là où il fuit encore, juste au cas où, ces gens qui aident pourtant d'avec leur chaleur et d'avec qui pourtant peut-être il passera la nouvelle année. Mais il veut pas, Nox, parce qu'avant ça y'a ce chiffre qui s'alourdit, qui le rapproche de ceux qu'on nomment adultes, qu'il peut encore bénéficier du jeune en attendant de se creuser trop le visage avec l'âge.

Minuit va sonner et ça sera bientôt la dernière journée de cette année où le manque s'était couplé à un tout autre, où Nox ne sait plus même pourquoi il tremble parfois, s'accroche à ses manches à défaut de pouvoir se reposer près de cette femme qui bientôt se reposera à jamais ; de cette seconde mère après avoir déjà eu à quitter la première. Il l'avait dit pourtant, qu'il en voulait pas, d'une autre à perdre... Et voilà que le mal était fait à présent. Alors ses doigts grattent sa peau et il fixe les pans de sa chambre, avant de craquer, de prendre son téléphone et d'écrire un message à un numéro qui change pourtant souvent et dont il apprend toujours les nouvelles courbes ((un zéro par ici, un huit par là)) et à qui il demande cette dose qui le fera sombrer de nouveau dans le désespoir le plus profond, après des semaines à avoir été clean, à réussir, à se retenir pour rendre fières les anges.

Mais cette nuit-là, ses ombres pèsent trop lourdes, veulent le bouffer et il se laisse faire, parce que pas combattif, parce que c'est ainsi depuis trop longtemps et qu'il cherche plus à lutter. Alors il envoie ce message et au rendez-vous donné, il attrape juste son manteau et se drape avec, oubliant celui de la fierté bien plus loin, ne cherchant plus à s'en vêtir depuis perpète. Des pas sur ces pavés, dans ces rues, dans ce monde qui l'avait déjà connu si essoufflé qu'il avait failli l'emporter. Et puis encore quelques uns, avant de reconnaître la rue, de déjà se figurer de comment est le coin, de s'en sentir mal, à la limite de vomir. C'est que Nox fait une connerie, une qu'il paiera chèrement et qui lui coûtera bien plus que la santé, bien plus que maintenant. Et quand il voit déjà une personne, il se dit que c'est l'autre, qu'il aura bientôt sa dose contre quelques billets et puis tout s'alignera, les étoiles comme ses pensées, qu'il touchera le ciel pour retrouver sa mère et lui dira que c'était trop dur pour ce soir, parce que minuit allait sonner et que comme Cendrillon, il va bientôt redevenir souillon.

Mais c'est pas le dealer, que ces mèches blondes mettent quelques secondes aussi à lui revenir. Qu'il se souvient d'elle, près du café, à trembler contre sa tasse et puis disparaître, comme si ça avait été trop fort pour elle et qu'elle était tombée en poussière. Quelques secondes avant de se dire que c'était pas de chance, qu'il aurait mieux valu disparaître en fait que d'être là, que d'être cette déception de tout le monde. "Salut..." Et ça pique la bouche, alors qu'il s'est figé, qu'il la fixe d'avec cette terreur implantée dans l'estomac, parce qu'il se demande s'il va faire comme elle, céder et partir du groupe de soutien, ne plus jamais se pointer. Parce qu'il sait, Nox, que s'il rate une seule fois, alors ça sera définitivement foutu... Et c'est ce qui l'aide à présent avec son traitement, à le continuer pour pas laisser la charge virale prendre le large et se fixer à ses veines tout autrement que maintenant. S'il cède, c'est elle qui deviendra forte. Alors, alors... "On ne devrait pas être là..." Qu'il murmure, s'en rendant compte, frappé de cette vérité qui fait tellement mal. Ainsi ce regard est jeté à l'autre, d'avec tout ces éclats brisés dans les siens, les élans de courage et de vie qu'on avait cassés depuis si longtemps qu'ils étaient éparpillés là, à ressembler désormais à des tessons de verre sur lesquels il s'écorchent en permanence. "On devrait pas..." Parce que le groupe, parce que les espoirs ((si lourds, si pesants, si envahissants)) et puis une vie déjà de perdue qui lui saute au visage.

Rien qu'à la démarche, Darcy s'est posé la question de savoir si c'était effectivement son dealer, parce que ce n'était pas comme d'habitude. La silhouette, la forme, rien n'allait et pourtant, elle ne s'est pas inquiétée plus que ça. Quand elle le reconnaît, y a cette surprise sur son visage qui ne dure que l'espace d'un instant, à se demander si c'est bien lui, pourtant, quand elle entend sa voix, y a plus de doute possible. Alors Darcy enfonce ses mains tremblantes dans ses poches, à appuyer son dos contre le mur de briques derrière elle. Probablement que le dealer ne va pas tarder, qu'ils auront tous les deux leurs doses et qu'ils pourront s'en aller chacun de leur côté comme si ils ne s'étaient jamais croisés. Pourtant, elle sent le regard de l'autre sur elle, Darcy, et avec un peu de courage elle finit par relever la tête pour le fixer à son tour. Et y a cette terreur sur son visage, alors elle fronce les sourcils, d'avec l'envie de lui demander si il va bien, et que ce serait certainement la première fois qu'elle parlerait autant avec lui.

Mais l'autre reprend la parole, murmure tant que c'est à peine audible pour Darcy mais elle comprend les mots, et y a ce léger soupir qui s'échappe de ses lèvres alors qu'elle se rallume une cigarette, la troisième de la journée, déjà les habitudes changent. Le briquet les illuminent un instant avant qu'elle ne le range, glisse la roulée entre ses doigts pour expirer la fumée. " Tu devrais probablement pas être là, oui.. Tu peux faire demi tour, je dirais à personne que je t'ai vu ici. " Et elle soupire un peu, avant de reporter la cigarette à ses lèvres, de fixer un long moment le mur face à elle avant de tourner la tête vers l'autre une nouvelle fois. " T'as pas l'air bien. C'est pas grave d'y avoir pensé, tu sais, t'as le droit. " Elle hausse un peu les épaules, triture nerveusement le bas de sa veste en laine de sa main libre, que le mec n'est toujours pas là, mais qu'elle ne ressent pas encore la culpabilité de craquer, que ça lui arrive trop souvent encore. Qu'elle n'a jamais été sobre aussi longtemps que Nox, que probablement qu'elle attend juste que la mort l'accueille dans ses bras, parce que de toute manière, personne ne se souviendra d'elle. Sa mère l'a déjà oubliée.

Une étincelle dans cette nuit noire, même si pas tant, parce que les lampadaires qui dégueulent leur lumière sur les rues, qui éclairent des points et en laissent d'autres dans la pénombre. Et les deux sont dans un ces cocons sombres, comme s'ils ne voulaient pas être vu même d'un Tout Puissant qui pourrait venir les juger de les voir céder à leurs pulsions. Mais paraît que les Hommes sont à Son image et qu'alors, il n'y a sans doute pas grand chose à aduler chez cette figure fantasmagorique ((lennox se le répète tous les jours pour ne pas craindre les cieux)) qui peut-être regarde quand même et se délecte du spectacle. L'odeur de la cigarette vient à chatouiller les narines de Nox et alors il sent que ça se plante dans sa chair, des poussières d'étoiles qu'il sait être ses espoirs éclatés ((et ceux des vivants aussi)) depuis trop longtemps déjà. C'est qu'il ressent plus vivement le manque encore, même de la nicotine, comme si la moindre addiction nourrie pourrait suffire à le faire planer pour cette nuit, qu'il filerait dans les airs tel un Peter Pan, une allure d'enfant perdu à lui tout seul de toute façon.

Mais Wendy ne le dénoncera pas ; toujours à recoudre les ombres, visiblement. Et alors la possibilité de faire demi-tour est offerte, suggérée même, comme s'il n'avait rien vu, comme si le plomb dans sa tête et ses veines n'était pas à le couler vers le bas, qu'il était encore capable de prendre des gorgées d'air pour ne pas remarquer ce goût de rouille qui règne dans sa bouche à force de se mordre les joues pour ne pas éclater en sanglots ((parce que c'est dur d'exister cette nuit)) et se sentir plus misérable encore. Elle met du baume sur des plaies purulentes et sans doute que l'intention est bonne, mais que n'importe qui saurait qu'avec ce genre de blessures, il n'y a plus rien à faire que d'accepter la fatalité ((est-ce pour ça qu'elle attend ?)) et de laisser faire la vie, même si parfois elle veut aussi dire son contraire. "C'est pas grave..." Qu'il répète, à la façon d'un enfant qui répéterai la leçon écrite au tableau ((enfant perdu)) et qui n'arrive pas à l'assimiler. Alors c'est un maigre rire, cristallin, qui s'échappe de sa carcasse épuisée par l'hiver et par ce minuit qui se pointe, qui remettra les carrosses comme citrouilles et lui rendra son allure de souillon qu'il avait cru pouvoir quitter... Demain soir les feux d'artifices, mais cette nuit ça sera le sien qui s'éteindra après avoir lutté pour ne plus vaciller. "Et toi ?" Nox croit sans doute que ses pensées sont claires alors que ce ne sont que des brouillons, des esquisses de logique que le manque vient à rendre plus confuses encore, comme si dans le même temps, il redessinait par-dessus les précédentes - on devine un oeil sous la chevelure qu'il improvise. "T'y a pas le droit ?" Parce qu'elle est là, avec sa clope comme phare, qu'elle fonce pourtant contre vents et marées contre le récif et que bientôt, elle coulera et s'enfoncera dans la marée noire.

Il n'y a pas de lampadaire sous l'eau.
((c'est tellement angoissant))

La cigarette roulée, peut-être un peu mélangée qui se glisse entre ses lèvres - est-ce que quand on consomme de l'héroïne, c'est encore considéré comme de la drogue, juste un peu d'herbe ? Elle en prend une bouffée, et ça lui fait pas tant d'effet que ça au final, que y a juste l'odeur de la nicotine et du reste qui se noie dans les airs, et qu'elle est là à attendre qu'une silhouette vienne la délivrer de ce manque qu'elle ressent, du tremblement de ses mains et de son envie de se noyer six pieds sous terre. Mais Lennox est là. Comme une ancre qui serait jetée à la mer pour qu'elle ne puisse pas s'échouer contre le rivage, comme une bouée à laquelle il faudrait qu'elle se raccroche, pourtant lui aussi elle tente de l'éloigner, de lui dire de faire demi-tour, qu'il ne la voit pas sombrer et qu'elle ne l'entraîne pas avec lui vers les tréfonds. Il répète ses mots, et y a ce petit rire léger mais pourtant si triste qui brise le silence de la nuit, et Darcy fronce juste un peu plus les sourcils en reprenant une longue bouffée de sa cigarette, que ça lui donne juste de quoi garder le silence un peu plus longtemps.

Et moi ? Qu'est ce qu'il peut bien avoir à foutre d'elle, après tout ? Il est comme ces infirmiers, ces soignants qui s'inquiètent de la voir rechuter à chaque fois, alors que pourtant sa vie est déjà fichue alors autant la laisser sombrer, non ? Que y a qu'à voir les cicatrices de son corps, de son âme, celles de quand tout était devenu trop difficile et qu'elle voulait juste que ça s'arrête, celles qui se mélangent aux souvenirs de l'accident. " Est-ce que c'est encore un droit quand on y pense constamment ? " Comment font les gens qui remontent à la surface, qui comme Lennox parviennent à tenir autant de temps sans sombrer ? Elle est incapable de ça, continue de se noyer régulièrement, parce que c'est plus doux que de survivre au manque, à la douleur, à tout le reste. " T'es pas obligé de t'occuper de moi, tu sais, j'ai l'habitude. " De craquer, d'être oubliée, laissée pour compte. Comme cette voiture qui s'est enfuie et qui lui a finalement laissé ce contrat pour qu'elle ne parle pas, et qu'en échange on payait ses soins. Que pourtant même avec ça, elle n'aura pas été soignée, et que vivre comme une ombre elle n'en est plus capable. Alors elle essaie juste de le repousser, mais le dealer ne vient pas, et à croire qu'il les a oublié, ou peut-être que c'était voulu que de laisser les deux se rencontrer là pour qu'ils ne consomment pas ce soir, alors Darcy jette juste son mégot au sol avant de l'écraser de son talon, et lentement elle se laisse glisser contre le mur en soupirant, jusqu'à ce que ses fesses touchent le pavé. " Il est long. " Alors il est peut-être encore temps de changer d'avis, de faire demi tour.

C'est comme si elle avait appuyé sur la blessure, plutôt que de colmater ; elle parle de droit pour les gens qui parviennent à ne plus y penser ; et, lui... Lui non plus n'y arrive pas, à ne plus penser tout le temps à "ça", à ce démon qui lui colle à la peau sans arrêt. Alors Darcy l'a mis KO et Lennox n'a plus rien à en dire ((il ne mérite pas plus)) parce qu'elle a évoqué une vérité bien trop incisive ((il ne mérite rien)) qui ne laisse place à rien d'autre.

Juste le silence.

Il se referme, Lennox. Ils ont rien à dire les toxicos, pas vrai ? Il trouve alors aussi le temps long, voudrait qu'il arrive et le libère de cette obsession, parce que de toute manière il ne verra pas Bridget disparaître à son tour ((comme s'il n'était pas prêt)), de s'il laisse les démons gagner. "Il viendra..." Qu'il répond, toute la force qu'il pouvait lui rester s'étant envolée. Parce qu'il y pense tout le temps. Parce que même en restant sobre, il n'arrive pas à s'en défaire. Parce qu'elle a raison, cette fille ; personne n'oublie jamais qu'ils ont été un jour faibles, même en faisant tout pour ne plus l'être.

Et ça résonne dans sa tête ; ((à quoi bon ?))

Alors qu'il vienne, qu'il abatte la sentence qu'ils se sont décidés à subir, consciemment. Alors il se gratte finalement un bras, dévoile un bout de peau pour mieux le martyriser ; et la peau se couvre de rouge, sous le coup des ongles pourtant rongés mais qui laissent des sillons sur sa peau toute la violence de ses pensées. Les mêmes qui lui secouent la carcasse, au fur et à mesure que minuit approche, que le trente-et-un va se dévoiler. Il a un peu envie de pleurer, Nox. "Je pensais pouvoir y arriver." Un aveu, du bout des lèvres gercées par le froid, par la soif, par la vérité qui n'abreuve jamais. "Mais t'as raison... On en a sans doute pas le droit... Quand on y pense tout le temps..." Ses doigts viennent à s'enrouler, autour de ce bras qu'il était à gratter ; la chaleur s'est pointée dans sa chair et à présent, il cesse de courir après.

Il a froid depuis si longtemps.
((la résolution est morte))

Les bras croisés contre sa poitrine, la cigarette roulée coincée entre ses lèvres, Darcy sent la tension du garçon à ses côtés, et elle se demande un instant si elle n'a pas été trop sèche dans ses paroles. Peut-être, mais c'est surtout le manque qui parle, cette envie de s'empoisonner les veines qui la ronge. Alors elle écrase le reste de sa cigarette sous sa chaussure, appuyant son dos contre le mur derrière elle dans un profond soupir, parce qu'elle en est persuadée maintenant, il ne viendra pas. Même les paroles du brun ne la rassurent pas, y a que l'obscurité autour pour la bercer, parce qu'il ne se pointera pas ce soir, probablement qu'il a du croiser des flics en patrouille et qu'il a décidé de faire demi-tour, ou qu'un autre client lui a prit plus de temps, dans tous les cas, il n'est pas là.

A quoi bon attendre, rester là pour un gars qui ne viendra pas les soulager, et Darcy passe une main tremblante dans ses mèches blondes avant de lever doucement les yeux vers le garçon à ses cotés. Parce qu'il a reprit la parole, et que ça lui brise le cœur - elle qui pensait ne plus en avoir. Lentement, la blonde se relève, le contemplant quelques secondes alors qu'il vide son sac - ou peut-être que le haut, mais c'est déjà ça. Elle le voit se maltraiter le bras, remarque la détresse tout au fond de ses yeux - est-ce qu'elle ressemble à ça, elle aussi ? Alors y a ce léger, petit soupir tandis qu'elle fait un pas dans sa direction, et qu'avec la plus grande des délicatesses, elle pose sa main tremblante sur celle du garçon, juste à appuyer son contact frais contre le sien. " Viens. "

Ils se sont probablement jamais autant parlés. Darcy est plutôt du genre à se taire et à écouter, habituellement, mais pas ce soir. Enfin, si, elle l'écoute. Mais elle trouve également une force en elle - le manque qui joue, toujours, certainement, celle de quitter l'allée en prenant le garçon par la main, sans trop lui laisser le choix. Elle le traîne derrière elle, jusqu'à deux rues plus loin, pour s'engouffrer dans un de ces cafés qui restent ouverts toute la nuit, et Darcy ne le lâche qu'une fois qu'ils sont devant une table. Et c'est que là, alors que la chaleur de la pièce commence à l'envahir, qu'elle lâche la main de l'autre pour lui pointer la banquette à la place. " J'ai d'quoi.. T'veux un café ? " Son nez se fronce, avant qu'elle ne s'asseye sur la banquette en face, retirant la capuche de sa tête pour gratter un peu ses mèches blondes, attendant de voir si il va se poser face à elle, ou non.

L'espoir est mort ; devenu cette résignation d'attendre que la Mort s'en vienne pour leur donner leur dose, pour qu'il disparaisse définitivement d'avant que le jour maudit se pointe, au beau milieu de la nuit. Mais bientôt les cloches sonneront et peut-être alors ira-t-il pour s'effacer le jour où il était né ((comme une boucle terminée)) et que tous ont oublié. Il n'a jamais voulu le rappeler, n'a jamais voulu qu'on s'en soucie... Mais Bridget avait brisé les barrières et c'était sans doute la dernière fois qu'il aurait sa voix chantante au petit matin ((peut-être pourrait-il en rêver ?)) ou son sourire dans l'après-midi.

Mais cette nuit, une main vient chercher la sienne.

Et un mot qui l'accompagne ; une promesse d'horizon dans un seul mot ; une seule injonction. Un regard désabusé qui se pose sur elle, sur cette silhouette qui vient à se fondre dans les rues de la ville. Leurs mains sont glacées, ne se réchauffent pas l'une et l'autre ; même si les bouts des doigts de Nox sont chauds à force de s'être frotté contre sa peau... Mais ils sont dans le vide, parce qu'ils n'osent pas rendre ce geste ((on ne touche pas les anges)) de peur que ça la fasse s'évaporer et qu'il se réveille dans cette même ruelle qu'ils ont quitté.

Le bruit d'une petite cloche et l'odeur d'un lien qui se veut rassurant dans un sens. Comme si toutes les âmes esseulées se retrouvaient en cette nuit d'hiver. La blonde lâche sa main qui retombe le long de son flanc, désarticulée de ce corps d'avoir connu une chaleur froide. Nox observe ; découvre ; s'ose à prendre une marque. Parce qu'il en a besoin, pour se tenir, pour réussir à ne pas tomber trop bas. Mais son regard fuit celui de cette fille. "Un café..." Une nouvelle fois, il répète ses derniers mots. Et parce qu'il a toujours été trop passif, Lennox se glisse délicatement sur la banquette, sans savoir ce qu'il craint le plus : que ce soit elle qui se brise, ou lui ? Ses mains se retrouvent bien assez vite entre ses cuisses, les doigts plaqués les uns contre les autres. Et ça donne cette impression que ces épaules sont encore plus rentrées que d'habitude ((il prend déjà trop de place)) comme s'il voulait toujours disparaître.

Un café ; oui, il peut bien en boire un.

Il va revoir les mains de cette fille autour d'une tasse ; parce que c'est tout ce qu'il sait d'elle, dans le fond. "Merci." Un bout d'âme encore qui s'expose, d'avec juste un mot. Peut-être avancent-ils ainsi, à bout de mot, mis bout à bout (("viens" "merci" "adieu" ?)) pour construire une histoire. Un café, il devrait réussir à survivre. "Je peux..." Il cherche, ose relever les yeux vers elle une seconde, peut-être même deux. "Nous prendre quelque chose à manger..." Peut-être un gâteau, sur lequel il soufflera une bougie imaginaire ; parce que visiblement, c'est avec elle qu'il passera le cap de minuit.

((ses chaussures sont-elles faites de verre ?))

Elle ne sait pas ce qui la pousse à faire ça, à se saisir de cette main pour l'entraîner dans son sillage, dans cette autodestruction qui l'accompagne un peu trop souvent. Elle devrait le repousser, comme tout ceux qui lui ont tendu la main, mais ce soir, c'est elle qui le soutient et l'emmène contre vents et marrées. Sans un mot, à part cette affirmation qui tient plus d'un ordre que d'une proposition, Darcy l'entraîne dans les rues, la démarche toujours un peu boiteuse, cette jambe gauche qu'elle se traîne comme un fardeau, bien que ce ne soit pas pire que le haut de son corps. Pourtant, en deux ans, il y a eu de l'amélioration, on ne peut pas le nier, mais c'est toujours pas assez pour la blonde, parce que tant qu'elle peut pas utiliser son bras gauche, rien n'a de sens, et c'est ce qui l'enfonce dans les abysses un peu plus chaque jour.

Pourtant, pas ce soir. Elle a su lutter contre l'envie de passer la nuit à se geler les miches dans l'attente de son dealer, parce que y avait Lennox. Que le brun a l'air aussi paumé qu'elle, et c'est ptet pour ça qu'elle entre dans ce café qui sera ouvert toute la nuit, et qu'elle le pose devant cette banquette à juste attendre qu'il s'y assoit pour faire de même. Une fois installés, Darcy guette la serveuse des yeux, attendant qu'elle les remarque pour venir prendre leur commande, et le brun rouvre la bouche, alors Darcy tourne ses yeux clairs, fatigués vers lui pour l'écouter avec toute l'attention dont elle est capable. Il y a ce coup de fouet, ce regain dans son corps, parce que faut faire passer le manque dans autre chose, elle n'a pas le choix. Du moins, pour ce soir. " A manger.. " Elle ne se souvient pas de son dernier repas, Darcy, était-ce aujourd'hui ? Les sourcils froncés, elle sort les pièces qui se trouvent dans ses poches pour compter. " J'crois que.. Ouais, j'veux bien.. C'est gentil, merci.. " Nouveau regard vers le garçon en face d'elle, avant que la serveuse ne daigne les rejoindre, alors Darcy commande deux cafés, sa main gauche tremblant nerveusement contre la droite, à triturer les cicatrices sur ses doigts. Elle tiendra ce soir.

TW : trouble du comportement alimentaire.

Les espoirs se sont éteints, brutalement ; mais ils étaient de ceux qui blessaient, parce que liés à ce qu'il pouvait y avoir de pire pour elleux. Alors sans doute est-ce mieux qu'iels se retrouvent à juste se voir dans le fond de deux banquettes qui se font face, à devoir faire front contre l'abandon de ce dealer ; aucun n'avait valu le coup de se déplacer ((et c'est dur de se le dire)) après tout. Une inspiration ; et le courage de proposer de prendre à manger de son côté, pour qu'ils partagent quelque chose chacun. Alors Darcy prend les cafés et Nox demande deux muffins, pour qu'ils puissent les picorer d'avec leurs doigts tremblants, rendus pâles par le froid qu'ils ont subi auparavant.

((plus d'étoiles dans les yeux))

Il garde le silence, jusqu'à ce qu'on leur ramène leur commande. "Merci..." Qu'il murmure trop timidement, passivement presque. Et on les laisse à leur sort ((encore)) à présent. Nox n'ose pas relever le nez vers elle, avant de finalement glisser lentement ses doigts vers sa tasse pour les y réchauffer ; l'impression que quand minuit sonnera, tout sautera. "D-désolé... Je ne suis pas très..." Il cherche ses mots, n'en trouve aucun à la mesure de ce qu'il pourrait vouloir dire. "Bavard." Il se rabat sur ça, même si ce n'était pas ce qu'il avait en tête de base. "Et je parle pour rien dire..." Son soupir passe pour un souffle sur le café, pour le refroidir un peu.

Au fond, il est juste désolé qu'elle se retrouve ainsi avec lui.

Son regard balaie la table, s'accroche aux muffins et leurs rondeurs sucrées ; l'oisillon vient à en émietter un pour se nourrir d'un micro bout, comme s'il craignait de se blesser d'avec des trop grosses bouchées. "T-ton prénom..." Il n'est sûr de rien, Lennox. "Tu l'as jamais dit." Elle ne parle jamais, la blonde ; fuit toujours trop vite, disparait longtemps, revient d'avec son regard toujours plus brisé. Et c'est en osant le demander de manière détourné qu'il ose relever ses yeux vers elle, comme pour se confronter à la réalité, à celle où dans le miroir, il n'y a plus que des ombres à voir dans le clair de ses prunelles.

((y'a plus rien à réparer chez vous))

Les deux cafés sont commandés, et avec eux, deux muffins. Darcy sort de sa poche quelques billets froissés, des pièces, les compte en observant le panneau lumineux qui affiche les tarifs, pour ensuite poser le compte exact sur la table ; ça lui fait ça de moins dans les poches. Elle enfourne le reste dans son manteau, avec ses mains tremblantes, scrute un coin de la table silencieusement jusqu'à ce que la serveuse ramène leur commande. Ils ont sûrement l'air beaux, comme ça, deux idiots se faisant face, en silence, dans un café à une heure aussi tardive. Les cafés et les muffins sont posés sur la table, et Darcy remercie d'un signe de tête la serveuse, alors même qu'elle entend la voix timide de Lennox, mais elle ne s'en fait pas, se contente de poser ses doigts clairs contre la tasse brûlante, pour les réchauffer. " Merci, pour l'muffin. " Elle parle doucement également, comme si parler trop fort, trop vite, ça risquait de briser l'instant.

Elle n'ose pas le regarder, en tout cas, se contente d'écouter ce qu'il dit, ces excuses qui balaient le moment parce qu'il n'est pas très bavard, certes, mais que devrait-elle dire ? Elle pense au dealer qui n'est pas venu, au fait que ses poches sont vides de doses et qu'elle ne sait pas encore ce qu'elle fera le lendemain. Mais il y a le café, et le muffin ; elle ne dormira pas le ventre vide ce soir. " T'en fais pas.. J'suis pas très bavarde non plus. " Petit haussement d'épaules, alors qu'elle tente une gorgée du café, qu'elle le repose alors même que le liquide lui brûle la gorge, mais ça la réchauffe de l'intérieur en même temps, comme une bouffée d'adrénaline.

Puis y a cette affirmation qui sort de la bouche de l'autre, celle qu'il ne connaît pas son prénom. C'est vrai, elle parle jamais aux réunions, encore moins pour se présenter ; c'était pas un mensonge qu'elle n'est pas bavarde. Darcy se triture la lèvre entre deux dents, lâche finalement la tasse de café pour attraper le muffin de ses doigts rougis par la chaleur de la céramique, et en arrache un petit morceau qu'elle coince entre ses dents. " Darcy. " Elle mâchonne en même temps, alors c'est ptet pas très intelligible. Le morceau avalé, la blonde ose lever les yeux vers l'autre, pour se poser sur son visage, le détailler. " Darcy. Et toi, c'Lennox, c'est ça ? " Elle se souvient, à peu près. Ou ptet juste Nox, elle est pas sûre, mais en tous cas, les trois dernières lettres lui parlent.

Finalement, elle écoute quand même un peu, aux réunions.

Deux êtres pas bavards ; réunis dans un café un soir trop froid ; les cafés qui réchauffent leurs doigts et peut-être bien que le bruit des muffins fera la conversation pour les deux. Mais il s'y tente tout de même, parce qu'en vérité il est curieux de son prénom ; qu'il ne l'a jamais entendu, qu'à vrai dire il était même pas sûr d'avoir autant entendu le son de sa voix que là, ce soir. Mais elle lui donne la réponse à cette espèce d'énigme qu'elle pouvait être ; Darcy. Nox s'était imaginé mille et un prénoms, mais pas celui-ci. "C'est ça, oui." Il acquiesce doucement, presque trop lentement.

Il aurait envie de lui dire qu'elle peut l'appeler Nox si elle préfère.

Mais il ne le fera pas, parce que pourquoi le ferait-elle ? Bientôt elle disparaîtra encore ; à nouveau. Et peut-être n'est-ce pas si mal, parce qu'il pourra éviter de raconter cette redescente en enfer ; parce que déjà la honte l'étouffe, qu'il se sent mal à cet instant ; plus encore qu'auparavant à vrai dire. "Ca ira... Pour toi, ce soir... ?" Qu'il demande, sans l'assumer ; ne la regardant pas, émiettant toujours le muffin en se disant qu'il est stupide de faire ça ; c'est que si elle n'a pas envie de parler de base aux réunions, pourquoi le ferait-elle là ? "Enfin... Pardon. T'es pas obligée de répondre." Et il ramène la café vers lui pour étouffer ses mots plutôt que de dire encore des trucs qui ne servent à rien.

Lennox. Darcy et Lennox. Les deux prénoms semblent leurs tourner autour comme les ombres d'un fantôme trop présent, trop envahissant même, et ça lui donnerait presque quelques frissons dans le dos, à Darcy. Le muffin s'émiette entre ses doigts, certaines rejoignent ses lèvres alors qu'elle observe le garçon face à elle, celui qui vient de lui confirmer son prénom et qu'elle tâche de graver dans un coin de son esprit ; plus qu'il ne l'était déjà. Parce que Darcy écoute quand même un peu, quand elle se rend à ces réunions - plus par obligation que par choix, malgré tout.

Alors le visage, la voix de Lennox prennent forme dans ses souvenirs, tandis que le garçon reprend la parole, que le café de Darcy est déjà fini - elle s'est brûlée la langue mais tant pis -, et que le muffin n'est plus qu'un tas de miette avec lesquelles elle joue de ses doigts tremblants, mais pas qu'à cause du manque. Dans un léger soupir, la jeune femme hausse les épaules, s'humecte les lèvres alors qu'elle reprend une miette du muffin, les yeux toujours rivés sur le tas face à elle. " J'en sais rien, en fait. J'comprends pas pourquoi l'est pas venu. " Elle souffle doucement, se mord l'intérieur de la joue avant de reprendre une miette du muffin. " Et.. Et toi.. ? " Parce que c'est plus simple d'écouter les autres parler, que de le faire elle-même.

CW : TCA, mal être.

Ils ont des mimiques qui se ressemblent ; sans doute est-ce là le plus terrible de cette affaire, parce qu'ils ne se rendent sans doute même pas compte d'à quel point ils peuvent se ressembler, par moment. Pourtant, au lieu de se nourrir, ils se contentent de toucher les muffins pour en faire des miettes qui paraissent dès lors moins imposantes ; mais Nox craint toujours de les manger, doit prendre sur lui pour en prendre une première pincée finalement, après s'être osé à une question, d'avec le goût du café en bouche ; celle du chocolat se mélange et c'est agréable... Mais ce n'est pas forcément un sentiment qu'il apprécie, loin de là même ; comme une crainte du bonheur. "Il s'est fait peut-être fait choper..." Qu'il suggère vaguement, n'en sachant finalement rien ; reste juste, de tout ça, qu'en effet il n'est pas venu, qu'ils sont restés ainsi comme deux imbéciles.

Mais Lennox ne sait pas non plus.

Y'a cette crainte du lendemain ; celle que minuit sonne, que le quart de siècle se signe réellement ; il ne voulait pas voir le passage des aiguilles se faire, ne voulait pas en être conscient... Mais ça adviendra ; et il va falloir l'accepter. "J'imagine que oui." Comment faire autrement ? Peut-être devrait-il écrire à Link ; peut-être devrait-il avouer à quelqu'un ce qui se trame le lendemain... Mais il n'en a pas le courage, Nox, déjà fatigué mentalement par les années passées. "Le destin veut peut-être que je reste sobre..." Et si c'est bel et bien le cas, le destin est un sacré connard ; mais il va falloir encaisser.

Il va falloir, parce que bientôt minuit sonnera ; le trente-et-un se dessinera ; et tout le monde pensera plutôt au nouvel an, que lui. Au fond, Nox espère que ça sera bel et bien ça. "... Tu aimes bien le 31 décembre ?" Qu'il lui demande, finalement ; question étrange, mais il a envie de dire que lui non plus ne l'aime pas beaucoup ; ne voudrait rien avoir à y célébrer.

Peut-être qu'il s'est fait attraper, oui, mais Darcy espère sincèrement que non. Parce que ça voudrait dire trouver un autre fournisseur, chercher une autre solution pour trouver quelques billets et payer ses doses, celles qui vont lui permettre de tenir un peu, jusqu'à ce qu'on la force à retourner à ces foutues séances, et qu'elle tente de rester à jeun quelques jours. Alors elle déglutit, écoutant les paroles de l'autre tout en continuant d'émietter son muffin jusqu'à ce qu'il ne reste plus grand chose, et alors quelques miettes viennent se déposer entre ses lèvres gercées ; elle tremble, Darcy. Le froid s'installe avec le manque, mais elle tente de ne pas le montrer, de sauver les apparences rien que quelques heures, quelques temps. " Si t'veux mon avis, l'destin, c'est un sacré connard. " Elle serre légèrement les dents ; a déjà tout perdu, et le destin n'est venu l'aider en rien.

Les sourcils qui se froncent pourtant à l'étrange question qui lui est posée, et Darcy jette un regard à Nox avant de pincer ses lèvres abîmées, haussant légèrement les épaules avant de reprendre d'une main tremblante quelques miettes du muffin. " J'sais pas... J'me suis jamais posé la question.. " Elle prend alors le temps de réfléchir, quelques secondes, avant d'inspirer. " J'pense que oui.. Ca veut dire qu'une année d'plus est passée, ça m'rapproche d'la fin. " Et puis c'est tout ce qu'elle peut attendre, Darcy, à ne plus avoir d'avenir ni de choses à attendre, elle ne peut que laisser passer les jours jusqu'à ce que la Mort l'emporte ; et là, plus rien n'aura de sens.

C'est peut-être ce dont elle a besoin.

Mais pourtant, elle se permet de retourner la question, juste au cas où. " Et toi, t'l'aimes bien.. ? "

Le destin n'est fait que de saloperies, oui ; Lennox est d'accord avec ça, parce qu'il est effrayé par ce qu'il lui réserve encore. Que la sobriété n'était pas souhaitée, mais qu'elle est souhaitable. Au moins, Bridget ne le verra pas retomber dans ses travers pour le moment, ignorera aussi la vérité au sujet de son protégé. "C'est vrai..." Il voudrait juste que ça s'arrête.

Que dans sa tête, il cesse enfin de pleuvoir.

L'addiction a ça de terrible ; elle pulvérise toujours, d'un jour à l'autre, même la plus forcenée des volontés. Se glisse à nouveau là, fait des entailles dans l'esprit et fait un nid pour cette rivière malfamée qu'elle est. Alors à l'esprit de savoir s'il peut à nouveau assécher le tout, ou bien céder aux appels des sirènes qui se sont glissés dedans. Nox n'a rien choisi, ce soir ; peut-être arrivera-t-il à un moment à ses fins.

À sa fin.

Comme celle qu'évoque Darcy ; et Lennox se demande souvent pourquoi les gens comme eux attendent la fin, comme ça. Se demande, parce que ça fait parti du travail... Mais ne trouve aucune réponse à ses questions. "Non, pas vraiment." Parce que ça lui rappelle l'absence de sa mère, parce qu'il se rappelle qu'il n'a sans doute pas tant d'avenir. C'est triste, misérable, angoissant. "C'est le dernier jour d'une année, mais tout le monde pense déjà à la suivante." Qu'est-ce qu'il y a si d'enthousiasmant, à se projeter comme ça ? Nox ne saisit pas ; n'en est pas capable. "Les gens évoquent déjà les résolutions qu'ils vont prendre..." Nox hausse les épaules. "C'est déprimant, le 31 décembre." Il ne l'aimait que quand sa mère était encore là.

Mais voilà qu'il vient à sonner.

Dernier coup d'aiguille sur l'horloge du diner.
Et iels passent à ces quatre zéros, criards.

Rien ne change pour autant, autour d'elleux ; les gens continuent à vivre leurs vies. Nox, lui, vieillit d'un an ; mais son âme est déjà âgée. Quand il regarde, il se rend compte que s'il le voulait, ça pourrait être son gâteau d'anniversaire qu'il mange. Parce qu'il pourrait ensuite pensait à disparaître, pour que personne vienne à constater que ce quart de siècle ne valait pas la peine d'être atteint. "Bon dernier jour de l'année." Qu'il dit, presque trop bas, sans énergie.