Rue de Saint-Ghislaine 32B ;; Belleth

“The way our fingers intertwine feels so natural and right; as if our hands hold memories of meeting in a thousand other lifetimes.” @Kenneth Brown

« Et donc… Tu en penses quoi ? » Bella battit des cils, tout à coup redescendue sur la terre ferme. Elle avait l’air d’une biche ébahie au milieu de la route. Emma, sa collègue, eut un petit rire moqueur. « Du nouveau. Celui qui vient de débarquer, déjà à la tête d’une équipe… ? » Bella secoua la tête, haussa les épaules avec un faux air désinvolte. « Je n’en sais rien, je ne le connais pas. » « Votre petit accident devant la machine à café a fait grand bruit, pourtant… » Elle se sentit rougir jusqu’à la racine de ses cheveux, mais elle tenta de faire comme si de rien n’était ; croisa nerveusement les bras sous sa poitrine. « Pas besoin de le connaître pour le trouver canon, tu sais. » « Emma ! » « Quoi ? J’ai des yeux, je m’en sers, c’est tout ce que je te dis ! Ne me fais pas croire que t’as pas remarqué. » Bella fit la moue. Emma lisait en elle comme dans un livre ouvert et ça ne lui plaisait pas. Elle fronça le nez, fit mine de s’intéresser de très près à un dossier qui traînait sur le coin de son bureau. Hasard ou véritable coup du destin, quand elle l’ouvrit elle tomba aussitôt sur la photo du nouvel arrivant, tenue par un trombone en haut d’une feuille. Elle le referme aussi sec, sourire nerveux accroché aux lèvres. « Ça ne fait pas tout, le physique. » « Pas besoin d’être expert en physique nucléaire pour… » « Emma ! » Bella, à peu près certaine d’être passée par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, secoua la tête et leva les mains en signe de plaidoyer. Encore une question et elle allait avouer que oui, elle trouvait le soldat tout à fait à son goût et qu’elle s’était sentie tout chose quand il l’avait rattrapée, à défaut de pouvoir sauver son café. « T’as de la chance, j’ai une intervention. Mais je te préviens, cette conversation n’est pas terminée ! » « Hm-hm. » Elle hocha la tête, pour finalement soupirer de soulagement quand la chirurgienne quitta son bureau. La conversation lui semblait avoir duré une éternité tant elle avait été gênée. Un peu plus et elle aurait balbutié un mensonge pour lui échapper.

Ce qu’elle aurait peut-être dû faire, puisqu’elle manqua de sursauter quand elle entendit son nom – en entier et prononcé sur un ton enjôleur au possible, de quoi faire pâlir de jalousie les grands séducteurs de ce monde – et elle se retourna si vite qu’elle manqua de perdre l’équilibre. Elle se demanda si elle était encore aussi rouge qu’une pivoine, ou si son organisme allait lui faire une fleur. Peu probable. « Oui… ? » Elle ne devait pas avoir l’air très fine, à fixer Ehvan Griffin comme si elle n’avait jamais vu un homme de sa vie. Bella, bientôt trente et un ans, treize années d’études au compteur, virtuose du scalpel et de l’aiguille à sature… Presque pétrifiée, muette face à un homme qui sortait de nulle part et donnait l’impression d’avancer en terrain conquis. « Le quatorze… ? » Février. Mais ça ne fit pas tilt dans son esprit. Pas tout de suite. « On m’a transmis votre dossier, si vous voulez une consultation je peux regarder mon emploi du… » Elle ne finit pas sa phrase ; Ehvan la prit de court. Cette fois-ci, c’était sûr, elle avait changé de couleur. « Vous voulez m’inviter à dîner pour la Saint-Valentin ? » Elle avait été obligée de le dire à voix haute – enfin, plutôt basse – comme pour s’aider à comprendre la proposition. L’invitation. « Mais… Pourquoi ? » Et l’oscar de la question la plus bête revient à… Bella s’appuya sur le bureau derrière elle, les bras toujours croisés sous la poitrine. Sa réputation de femme froide, distante et inatteignable allait en prendre un sacré coup. Sa répartie s’était envolée, et avec elle l’air sérieux dont elle semblait ne jamais se défaire. Elle se surprit à penser qu’Emma avait raison ; au premier regard, il avait tout pour plaire. Vite, il fallait dire quelque chose d’intelligent. « Vous n’avez pas peur que mon père vous croque ? » Malin. Vraiment malin. Ça sonnait, au moins, comme un défi.

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Bella avait l’habitude qu’on flirte avec elle, de façon plus ou moins subtile. Elle évoluait dans un milieu principalement masculin – c’était malheureusement une chose à laquelle elle s’était faite, qu’elle faisait de son mieux pour ignorer. Mais c’était bien la première fois que quelqu’un était aussi… direct. Soit parce qu’il n’avait entendu parler ni de son père ni de sa supposée réputation de reine des glaces, soit parce qu’il n’avait pas froid aux yeux. Peu importait la raison, Bella était complètement prise au dépourvu et en avait perdu tous ses moyens. Heureusement qu’Emma n’était pas là pour voir la catastrophe, elle n’aurait jamais fini d’en entendre parler. Ehvan Griffin semblait avoir réponse à tout, il possédait le genre d’assurance qui avait tendance à lui faire rouler des yeux d’exaspération, mais elle était bien obligée d’admettre qu’elle n’y était pas insensible. Elle avait les joues en feu et rien que d’imaginer la couleur de son visage, elle était mortifiée. Son teint de pivoine ne dut pas être arrangé par la réplique imparable du militaire. Elle laissa échapper un petit « Oh » tout ce qu’il y avait de plus expressif, accrochée au bord de son bureau comme si elle risquait de défaillir. Au revoir l’habit de chirurgienne déterminée et sûre d’elle, elle avait tout l’air d’une damoiselle prête à tomber en pâmoison devant un preux chevalier. Elle avait envie de grincer des dents, et en même temps… « Et ça fonctionne toujours, votre petit stratagème… ? » Elle n’avait pas encore répondu, s’accrochait comme elle le pouvait à ce qui lui restait d’aplomb. Il fallait bien l’avouer, cette petite ruse était aussi osée qu’elle était amusante. C’était le genre de chose que Bella n’aurait jamais eu le cran de faire, même dans ses rêves les plus fous. En dehors d’un bloc opératoire, elle n’était pas très courageuse.

« Oh, wow. Vous sonnez vraiment comme quelqu’un qui ne connaît pas encore la morsure de mon père. » Bella eut un petit rire, malgré elle. Quelque part, elle ne pouvait pas s’empêcher de trouver ça séduisant. Ehvan était une exception rare, un homme qui n’était pas encore touché par l’emprise néfaste d’Alexander. Elle ne put s’empêcher de songer que, peut-être, si elle savait le mettre en garde avant qu’il n’ait le temps de le saisir entre ses griffes… Non, c’était ridicule de songer ainsi. Elle ne connaissait pas Ehvan, n’avait pas la moindre idée du genre de personne qui l’était. Pourquoi penser à l’éventuelle influence positive qu’elle pourrait avoir sur lui. Toujours accrochée à son bureau comme une naufragée à un rocher, elle sourit, embarrassée, impressionnée… Séduite ? « Ce doit être votre jour de chance. Je ne suis pas de garde, le quatorze. Je finis à vingt heures. J’imagine que votre service se termine à peu près à la même heure. » Elle avait l’impression de jouer avec le feu, mais c’était terriblement grisant. De plus près, il était encore plus… Difficile de mettre le doigt dessus. Mais il avait un petit quelque chose qui semblait le rendre irrésistible, autant que ça le rendait dangereux. « Mais je vous préviens, il n’y a pas encore grand-chose, dans le coin. » Bella croisa les bras sous sa poitrine, avec un petit air de défi dans le regard. « Surprenez-moi, soldat. »

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L’audace masculine était un phénomène qui méritait d’être étudié par les scientifiques. Bella en restait bouche-bée, si elle avait l’habitude des tentatives de séduction plus ou moins grossière, c’était bien la première fois qu’un homme était aussi direct avec elle. Ça avait au moins le mérite d’être clair, aussi déconcertant que ce soit. Heureusement qu’Emma n’était plus là pour voir ça ; connaissant son amie, elle ne se serait pas gênée pour y aller de ses petits commentaires et n’aurait pas manqué de lui faire un petit compte-rendu par la suite. Ce à quoi Bella aurait le droit de toute façon, Emma finissait toujours par tout savoir et c’était le genre de chose qu’elle ne pouvait pas laisser passer. Est-ce qu’Ehvan Griffin était un peu trop confiant, un peu trop séducteur ? Assurément. Mais pour une raison que Bella n’aurait su expliquer, elle trouvait ça attirant et tant pis si ça lui faisait perdre tous ses moyens ou presque. C’était un peu ringard, sans doute était-il un brin trop sûr de lui… Et ça faisait mouche. Bella était déjà surprise par sa propre curiosité : de quoi serait-il capable, après ce beau numéro de charmeur ? C’était quitte ou double, il n’y avait que deux options, la merveilleuse surprise ou la déception. De merveilleuses surprises, Bella n’en avait pas connu plus que de déceptions, pour la simple et bonne raison qu’elle ne pouvait pas affirmer avoir vécu une quelconque histoire sérieuse. Elle s’était impliquée dans ses études et dans rien d’autre, avait fui les relations comme la peste et jusqu’à ce qu’Ehvan pointe le bout de son nez dans son bureau, elle était persuadée qu’elle aurait continué à vivre ainsi sans que ça ne la dérange beaucoup. Là, tout à coup, elle se demandait si elle ne loupait pas quelque chose, en fin de compte.

Elle se contenta de hocher la tête sans articuler un mot quand il lui demanda l’autorisation pour… Lui emprunter un stylo ? Oh, pour lui donner son numéro de téléphone. Bella étouffa un rire. Le numéro griffonné sur son agenda, bonne idée, elle ne pourrait pas s’en débarrasser de sitôt. Seigneur, pourquoi trouvait-elle ça séduisant ? C’était ridicule ; il n’y avait pas d’autre mot. Elle faillit tenter une petite plaisanterie, rétorquer qu’elle avait déjà changé d’avis, mais se contenta de déglutir comme si quelque chose était coincé dans sa gorge – sa fierté féminine, réduite à néant par un sourire charmeur et de beaux yeux sombres. Il eut une façon de prononcer son nom qui fit bondir son cœur, elle afficha un sourire qui dut avoir l’air idiot, son assurance passagère elle aussi envolée. Le temps qu’elle reprenne ses esprits, Ehvan Griffin avait déjà disparu. Bêtement, Bella porta une main à sa poitrine pour s’assurer que son cœur n’avait pas explosé et secoua la tête. Elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’il venait de se passer, en moins de cinq minutes. Tout ce qu’elle savait, c’est que son cœur avait loupé quelques battements.


Bella avait-elle seulement envisagé une seconde de renoncer à ce rendez-vous galant sorti de nulle part ? Absolument pas. Ça aurait sans doute été la chose raisonnable à faire, pourtant. Après tout, elle ne connaissait rien, ou pas grand-chose, de l’homme qui l’avait invité. Elle avait lu le dossier qu’on lui avait transmis et… C’était à peu près tout. Quelques regards, quelques mots échangés dans les couloirs de l’unité et rien de plus. Ehvan était un mystère, le genre qu’elle s’était surprise à avoir envie de découvrir un peu plus chaque jour. Elle pensait à lui et souriait comme une adolescente en proie à ses premiers émois. Plus la date fatidique s’était rapprochée et plus elle s’était sentie impatiente, anxieuse, curieuse. Devant le miroir de la salle de bain, elle s’était demandé ce qu’elle était censée faire. Se mettre sur son trente-et-un, faire un effort sans trop exagérer, ne rien faire du tout ? Elle avait changé de tenue deux fois, trois fois, avant de se convaincre qu’il ne servait à rien de tenter de trouver quelque chose de parfait, elle ne serait jamais complètement satisfaite. Et puis, pourquoi y accorder une telle importance ? Ce n’était pas comme s’il allait se passer quoi que ce soit entre eux (elle rirait, plus tard, de cette résolution balancée aux orties à la vitesse de la lumière le soir même) ! Plus ou moins satisfaite, elle s’était mise en chemin. C’était drôle, de traverser le fantôme de New York en reconstruction. Il n’y avait pas grand monde, rien n’était vraiment fini, elle ne se sentait pas vraiment à sa place dans les rues, un peu plus apprêtée qu’elle n’aurait dû l’être (c’était donc un échec, pour la tenue décontractée).

Bien vite, les rues furent oubliées, étouffées par les battements erratiques de son cœur. Elle en était sûre, elle était déjà rouge comme une pivoine, mais avec un peu de chance, les lumières douces et son maquillage dissimuleraient son teint écarlate. Ehvan était là, au coin d’une rue presque déserte, et Bella pria silencieusement pour ne pas coincer les talons de ses bottes quelque part. Elle voulait absolument qu’il pense qu’elle abordait cette soirée le plus normalement du monde, et pas comme si elle n’avait eu de cesse d’y songer pendant des jours et des jours. Elle lui sourit, la gorge encore un peu trop serrée pour dire quoi que ce soit, et sans surprise, se sentit rougir jusqu’à la racine des cheveux quand il lui tendit un bouquet. Soit Ehvan avait l’âme d’un grand romantique, soit il l’avait déjà cernée, soit il était vraiment très, très doué. « Et vous, vous êtes un grand séducteur. » S’en plaignait-elle ? Pas le moins du monde. Elle n’aurait pas su dire pourquoi, mais elle se sentait… Spéciale ? Unique ? Elle baissa les yeux un instant, les fleurs serrées contre sa poitrine. « Vous savez, quand j’ai vu l’adresse et que j’ai constaté que le restaurant été fermé, je me suis demandé si vous n’aviez pas l’intention de me kidnapper… » Bella étouffa un petit rire, jeta un œil à l’intérieur du restaurant, où il semblait n’y avoir que bien peu d’activité. Mais elle souriait, son habituel sérieux disparu. « Est-ce que vous allez me kidnapper, Ehvan ? Je dois l’avouer, les fleurs jouent en votre faveur… » Le reste aussi, mais elle n’allait tout de même pas lui offrir la victoire sur un plateau d’argent. Pas tout de suite, en tout cas.

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Juste un romantique. Bella sourit. Elle avait l’impression que c’était devenu une espèce rare dans la scène moderne des rencontres. Un bon point pour Ehvan Griffin, alors ? Peut-être bien. Bella était sous le charme, curieuse. Sans doute pas aussi prudente qu’elle aurait dû l’être, mais elle n’entendait plus sa raison, sa voix étouffée par les battements furieux de son cœur. Elle avait envie d’en apprendre plus sur lui, au-delà des quelques lignes qu’elle avait pu lire dans son dossier, où tout était aussi factuel qu’aseptisé. Elle n’aurait jamais imaginé céder aux avances de quiconque sur son lieu de travail. Les hommes qui travaillaient à l’unité n’étaient pas vraiment son genre, et puis on ne mêlait pas travail et vie privée, mais il y avait un petit quelque chose chez Ehvan qui paraissait irrésistible. « C’est exactement ce que quelqu’un qui voudrait me kidnapper dirait… » Les traits d’humour étaient relativement rares, chez Bella. Loin d’être désinhibée, elle se sentait pourtant plus légère qu’à l’accoutumée. Tout ressemblait à un film romantique, le genre qu’on voyait à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit à la télévision. Le genre de film qu’on avait beau trouver un peu ringard, mais qui faisait toujours un peu rêver. Sourire toujours accroché aux lèvres, elle eut un petit frisson en le frôlant quand elle entra dans l’établissement. C’était un peu déconcertant, de le trouver aussi vide. Autant que c’était excitant. Il n’y aurait rien qu’eux, juste lui et elle, et toute une soirée pour se découvrir. Ehvan se tenait si près d’elle que Bella en était sûre, il pouvait voir à quel point ses joues étaient rouges. Et cette fois, ni l’éclairage ni son maquillage léger n’étaient là pour la sauver. Elle se contenta d’un petit hochement de tête, quand il lui demanda s’il pouvait la débarrasser de son manteau. Le frisson qui la traversa quand il l’aida à l’ôter n’avait rien à voir avec les températures encore froides de l’hiver. Bella se mordit la lèvre – elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait, elle n’avait jamais rien ressenti de tel.

Bella eut un petit sursaut quand une jeune fille qui son apparition. Un peu trop subjuguée par la présence d’Ehvan, elle ne l’avait même pas vue arriver. Elle lança un regard interrogateur à Ehvan. Un restaurant privatisé alors qu’il n’était même pas encore ouvert, un service personnel, des fleurs… Elle lui avait demandé de la surprendre et il n’avait pas lésiné sur les moyens pour y parvenir. Certaines femmes auraient pu voir ça d’un œil suspicieux… Mais Bella était de ces êtres qui cherchaient toujours le meilleur chez l’autre, alors elle ne pouvait que se sentir flattée par tous les efforts faits simplement pour lui plaire. Tout de même un peu troublée, elle s’installa à la table qui avait été dressée pour eux – la seule du restaurant – après avoir laissé la jeune serveuse prendre ses fleurs pour les mettre dans un vase. « Il faudrait que je sois bien difficile pour ne pas être séduite… » Elle s’empourpre encore un peu plus ; se retient tout juste de ne pas enfouir son visage entre ses mains. « Par l’endroit, je veux dire. » La précision arrivait un peu trop tard pour ne pas être suspecte. « Un chef, rien que pour nous ? » Bella secoua la tête doucement. C’était probablement un peu cliché de songer ainsi, mais elle avait l’impression d’être traitée comme une véritable princesse. Il aurait fallu qu’elle se montre un peu plus méfiante, les contes de fées étaient rarement aussi beaux que le laissaient croire les dessins animés et autres réécritures. Mais Bella, pauvre Bella, possédait un cœur et une âme profondément romantiques, un brin naïfs. On le lui avait beaucoup reproché, mais que pouvait-elle contre sa propre nature ?

Elle soupira tout bas, jouant nerveusement avec ses couverts. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, sa curiosité n’avait de cesse de grandir. « Vous me réservez encore beaucoup de surprises de ce genre ? Quand je vous ai demandé de me surprendre, je ne pensais pas… Je ne pensais pas à tout ça. » Bella eut un petit rire. Elle se serait contentée de peu de chose, elle n’était pas du genre à réclamer qu’on lui déroule le tapis rouge. Aussi agréable que ce soit, ce n’était pas ce qui l’intéressait réellement. « Un romantique, donc. C’est pour cette raison que vous m’avez invitée ? Parce que je ne regardais pas où je mettais les pieds, que je vous ai bousculé, fait renverser votre café et me suis rattrapée à vous comme si ma vie en dépendait ? » Avec le recul, c’était plutôt drôle. Pas étonnant que leur petite mésaventure ait fait le tour de l’unité. Bella était connu bien malgré elle, parce qu’elle était la fille d’Alexander Faust, et la plupart du temps elle essayait de se fondre dans la masse. Le seul endroit où elle osait faire entendre sa voix était le bloc opératoire, mais en dehors, elle était aussi discrète qu’une petite souris. « Une amie m’a dit que ça ressemblait à ces scènes un peu clichées qu’on voit dans tous les films à l’eau de rose qui se passaient à New York, avant. J’imagine que vous voyez très bien le genre. » Pas besoin d’être un amateur pour les visualiser, il suffisait d’allumer la télévision pour avoir le droit à une romantisation extrême du quotidien et des petits accidents de parcours. « Est-ce que vous allez me briser le cœur, ou est-ce que je vais tout à coup découvrir que ma vie était bien fade sans vous dedans ? » Bella étouffa un petit rire. Elle n’était pas très douée pour flirter, et encore moins pour le faire avec subtilité. « Enfin, pour le moment, vous n’êtes encore que l’étranger qui m’a empêchée de finir ma course par terre… Il va falloir me convaincre de votre romantisme, je crois. »

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Bella se mordit la lèvre ; il fallait qu’elle fasse attention à ce qu’elle disait, Ehvan semblait n’en perdre aucune miette. Si elle avait parlé de leur rendez-vous à une amie ? Oui. Non. Pas tout à fait ? Bella se retint de faire une grimace. Pouvait-on réellement dire qu’elle en avait parlé à Emma, étant donné que celle-ci était partie à la pêche aux informations et ne l’aurait pas laissée en paix avant de tout savoir ? Elle s’éclaircit la gorge, un peu trop gênée pour réussir à le dissimuler. « Disons que les rumeurs circulent vite, à l’unité… » Et c’était tout ce qu’elle dirait sur le sujet. Elle ne voulait pas qu’il s’imagine qu’elle s’était perdue dans mille et une confessions alors qu’il ne s’était strictement rien passé entre eux. Quoi qu’il en soit, heureusement que leur jeune serveuse ne leur avait encore rien servi à boire ; elle se serait sans doute étouffée et ridiculisée quand il rebondit sur le sujet des comédies romantiques. « Aucun ex-fiancé trop rigide de mon côté, on évitera au moins ce cliché-là. » Elle faillit ajouter que la voie était donc libre, mais elle ne voulait pas se risquer à une remarque aussi lourde de sous-entendus. Elle ne demanda pas non plus ce qu’il en était de son côté, elle imaginait que c’était le genre de choses qui viendraient un peu plus tard… Pour un peu que les choses se poursuivent au-delà de cette soirée qui démarrait sur les chapeaux de roue. Pour ce qui était du cadre idyllique… Bella n’était pas vraiment du genre à se formaliser de son environnement, même si elle ne pouvait nier être impressionnée et touchée par l’attention portée à ce premier rendez-vous. Là où beaucoup se seraient contentés du minimum syndical, Ehvan était parvenu à privatiser un restaurant qui n’était même pas encore ouvert. Il avait fait assez fort, Bella était bien obligée de lui accorder ça.

Distraitement, comme pour essayer de maîtriser au mieux sa nervosité, elle se mit à jouer avec l’une de ses boucles blondes, ne perdant pas une miette de ce que lui disait Ehvan. Les présentations officielles, donc. Elle eut un petit rire ; il lui donnait l’impression de passer un entretien d’embauche, l’image était plutôt comique. Ce qu’il lui disait n’en était pas moins intéressant pour autant. Elle haussa les sourcils, sincèrement surprise par les précisions apportées quant à sa carrière militaire. Un ingénieur en aéronautique, ce n’était pas tout à fait le genre de profil que CERBER recrutait… Et encore moins pour intégrer un bataillon de l’Elimination Squad. Elle se demanda, l’espace de courtes secondes, ce qui avait bien le séduire chez son père et ses comparses pour intégrer leurs rangs et lui confier d’office une équipe. Une question bien trop sérieuse, réservée pour une conversation un peu plus sérieuse, peut-être… « Pour avoir eu la malchance d’être présente quand New York est tombée, je peux vous assurer que vous étiez bien mieux loin d’ici. » Une ombre passa sur son visage, atténua son sourire. Elle n’avait pas beaucoup de souvenirs de la journée où la ville avait été précipitée dans le chaos. Au moins une fois dans sa vie, Alexander avait été un père digne de ce nom et avait usé de son pouvoir pour mettre sa fille à l’abri. Son frère n’avait pas eu ce luxe, mais c’était l’une des rares choses que Bella ne reprochait pas à leur père. Max était introuvable, même à elle, il n’avait pas répondu. Elle secoua doucement la tête ; elle n’avait pas envie de penser à ce jour-là, pas ce soir. Elle ne put s’empêcher d’avoir un petit air triste, Ehvan lui révélait plus ou moins nonchalamment que sa mère n’était plus de ce monde. Elle faillit lui dire qu’elle était navrée, mais quelque chose lui disait que ce n’était pas le moment idéal. Elle préféra rebondir sur quelque chose de plus léger, et tout à leur avantage. « Le gendre idéal, hein ? Sans vouloir vous effrayer, je crois que même le prince d’Angleterre ne serait pas le gendre idéal pour mon père. » Bella étouffa un rire, leva les yeux au ciel. « À l’heure qu’il est, il sait probablement déjà tout de vous. Navrée, c’est ce genre d’homme… » Une sacrée ironie, s’il voulait son avis. Alexander avait le don de se mêler de ce qui ne le regardait pas, quand bien même leur relation était fanée depuis aussi longtemps qu’elle s’en souvienne. Bella ne savait pas de quoi il s’agissait réellement. Une tentative de garder le contrôle sur sa fille, ou une façon maladroite de lui montrer qu’il se souciait d’elle ?

Une chance pour Bella, la jeune serveuse lui apporta un peu de courage liquide, sous forme de champagne. Rien que ça ! Elle prit une gorgée, pour se donner du courage et… soupira. Ehvan comprendrait vite que Bella n’était pas douée pour parler d’elle. Et pour cause, elle ne se trouvait rien d’extraordinaire. « Belladonna Faust. Née à Manhattan, mais plus Anglaise qu’Américaine, à en juger par ma double nationalité. Londonienne dans l’âme, je crois… Enfin, c’est ce que disait ma mère. » Elle aussi, absente au tableau. Mais Lorna n’avait pas l’excuse d’une disparition prématurée, elle avait simplement abandonné ce qu’il lui restait de famille. « J’ai fait des études de médecine pendant douze ans, je me suis spécialisée en chirurgie traumatologue avant que mon père ne me propose de me former à la protochirurgie. Je mentirais en disant que c’était le choix de carrière dont je rêvais, mais j’ai l’impression de vraiment aider nos collègues, alors… » Bella eut un petit haussement d’épaules. Tant qu’elle pouvait aider son prochain, faire honneur au serment qu’elle avait prêté, alors elle était satisfaite. « Je ne sais pas trop ce que mes parents diraient de moi, mais en tout cas, Emma dit que je suis bonne à marier. » Et une autre gorgée de champagne, avant que le rouge ne s’installe définitivement sur ses joues. « Vous avez forcément croisé Emma, c’est elle qui m’a fait passer un petit interrogatoire quant à cette soirée… Attention à vous, elle serait bien capable de vous faire disparaître s’il m’arrivait quoi que ce soit ! » Et ce n’était même pas une plaisanterie. Emma ne plaisantait pas avec ses amis. « Mais honnêtement, je crois que si je n’étais pas tombée de moi-même dans vos bras par accident, elle m’aurait fait un croche-pied. Elle est toujours prête à rendre service à une amie. »

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Bella eut un éclat de rire incontrôlé à la mention du prince Charles. Elle avait malgré elle tendu la perche parfaite et Ehvan s’en était saisi sans la moindre hésitation. « Je pensais plutôt aux deux autres, mais maintenant que vous le dites… Je crois que je vais me passer d’un prince, tout compte fait. » Bella lui adressa une œillade amusée. Elle n’avait jamais voulu de prince charmant, ne s’était jamais imaginé vivre un jour une romance comme celle qu’on ne trouvait que dans les contes de fées. Si elle était honnête, elle n’était même pas sûre de vivre une grande histoire d’amour tout court. À moins que… ? Non, non, non. Elle ne connaissait rien d’Ehvan, ou à peine, alors elle n’allait certainement pas commencer à imaginer leur et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. Enfin, pas avant le plat principal, au moins. « Mon père ne me fait pas de rapports, c’est plutôt l’inverse… Du coup, vous allez d’autant plus devoir vous tenir à carreau. » Elle eut un petit sourire, qui s’estompa un peu vite. Elle avait l’impression de lui faire miroiter une relation avec Alexander qui était beaucoup plus légère qu’elle ne l’était. En réalité, Bella ne se souvenait même pas de la dernière fois où elle avait eu une conversation avec son père en dehors de l’unité, et autrement qu’en utilisant un ton cordial. Quiconque ignorait leur lien de parenté aurait été incapable de le deviner en les voyant ensemble. Mais ce n’était pas le moment d’en parler. Pas le moment non plus de songer à son père, même si, au vu de la tournure que prenait leur conversation, elle n’allait pas réussir à complètement y échapper. Elle soupira doucement, eut un petit haussement d’épaules. « Je voulais faire de la traumatologie. Avant de devenir l’un des pionniers de la protochirurgie, mon père était chirurgien militaire. Je ne voulais pas faire comme lui, mais je ne sais pas, aider les gens à se relever d’épreuves indépendantes de leur volonté, ça semblait être… La bonne chose à faire ? Vous me direz, tout est indépendant de notre volonté, quand notre santé est atteinte, mais c’était la spécialité qui m’appelait le plus. Enfin, non, pour être honnête, j’ai failli me spécialiser en néonatalogie aussi, mais je crois que j’aurais passé plus de temps à cajoler les bébés qu’au bloc. » Oups – venait-elle d’admettre involontairement qu’elle adorait les enfants, et aimerait en avoir un jour ? Ce n’était définitivement pas le genre de conversation qu’on avait au premier rendez-vous. Même s’il n’y avait pas de règles préétablies, Bella se mordit la langue.

Et pour ne pas risquer de perdre la face tout de suite, elle allait jeter Emma en pâture à Ehvan. Elle lui pardonnerait bien ça, elle en était sûre. « Howard. Emma Howard. Mais je dois vous prévenir, elle vous a sans doute encore plus à l’œil que mon père. » Bella grimaça en songeant qu’elle devrait faire un petit compte rendu à ladite Emma au plus tôt. Peut-être même devrait-elle lui envoyer un message ou deux pour lui signaler qu’elle était encore en vie et que non, Ehvan ne l’avait pas encore kidnappée. « Les surprises ? Euh… Je ne sais pas. On ne m’en a jamais fait, alors je ne peux pas répondre… Pas encore ? » Elle haussa un sourcil. Ehvan avait déjà tapé dans le mille avec son restaurant et son service privatisés, son bouquet de fleurs. « Non, ce n’est pas tout à fait vrai. Mon frère me faisait beaucoup de surprises, quand j’étais petite. Mais c’était il y a longtemps. » Trop longtemps. Il y avait des jours où Max lui manquait plus que d’autres. Sa disparition avait laissé un vide qu’elle n’était jamais parvenue à combler – elle n’en avait pas envie non plus. Comme si ce vide qu’elle éprouvait, cette absence, était un éternel rappel de l’amour qu’elle éprouvait pour lui et de toutes ces choses qu’elle n’avait pas eu le temps de lui dire. « Des Post-its, hm ? C’est plutôt original. À l’heure où tout le monde a le nez collé sur l’écran de son téléphone, je veux dire. » Bella pinça les lèvres – elle avait bien noté le moindre de ses mots, mais elle ne voulait pas mordre à l’hameçon trop vite. À moins que ce ne soit le contraire ? Elle commençait tout juste à remarquer la nervosité d’Ehvan et c’était plutôt… adorable ? « Mes parents m’ont choisi un prénom de fleur, ce serait dommage que je ne les aime pas. Bon, une fleur empoisonnée, certes, mais une fleur quand même. » Elle secoua la tête. En théorie, son prénom avait deux sens, mais ce n’était pas vraiment la traduction italienne qui avait intéressé ses parents. « J’aime beaucoup les fleurs, oui. Les plantes en général, il y en a partout chez moi. J’arrive à les maintenir en vie, un petit miracle si vous voulez mon avis. » Bella souriait, sans même s’en rendre compte. C’était la première fois depuis une éternité qu’elle se sentait vivante, qu’elle avait l’impression d’être autre chose qu’un pion sur l’échiquier de son père et ses comparses. « C’est un rendez-vous, ou un interrogatoire ? » Est-ce qu’elle se jouait un peu d’Ehvan ? À peine. « À mon tour d’être curieuse. Comment est-ce qu’un ingénieur en aéronautique se retrouve à la tête d’une équipe de terrain CERBER ? Ce détail n’est pas dans votre dossier. Enfin, pas dans celui qui m’a été transféré… » Elle joue distraitement avec son verre ; en fin de compte, elle n’est peut-être pas si mauvaise à ce jeu. « J’ai une petite idée. Vous me posez une question, j’y réponds, et c’est ensuite à mon tour de vous en poser une et à vous d’y répondre. » Un petit jeu en apparence innocent, mais qui pourrait devenir dangereux à tout moment… Là était tout son intérêt, non ?

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