Eteignez vos espoirs, c'est pas Versailles ici / Nuli~9

Un froncement de sourcil bien présent déforme ses traits alors que Lili tente de rassurer l’avocate ; dossiers sous le coude, la femme peste sous un ton très bas et contrôlé face à l’absence de son client. Li-Seok peut comprendre ; il s’inquiète aussi, bien que la nature de la chose soit profondément différente. Si la femme pense à son temps perdu et sa réputation, Lili s’inquiète uniquement pour son ami. Il n’aime pas savoir Nuage seul dans le bâtiment. Certes, il pourrait se dire qu’il est en compagnie de son frère aîné, mais celui-ci a été aperçu seul quelques instants plus tôt.
- Je vais le trouver, qu’il finit par dire ; non seulement pour faire taire la femme, mais aussi pour apaiser ses propres inquiétudes. L’agent de probation tâche de rester neutre, mais à l’instant, son inquiétude est plus personnelle que professionnelle. Il tâche de ne pas se laisser envahir par la panique qui vibre sous sa peau ; Rihanna sent pourtant son agitation, pressée contre ses jambes, droite et solide, le regard guettant les environs. Je vous envoie un message, qu’il dit avant de s’éloigner. L’avocate prend bien le temps de lui préciser qu’ils possèdent trente minutes avant le début du procès. Lili lui fait un signe de la main pour lui montrer qu’il a compris, non sans presser le pas.
Il ne sait pas où le chercher. L’absence d’informations lui retourne le ventre, à l’instant.
Dans les couloirs, Lili guette et cherche. Il essaie de garder le sourire et de saluer au passage les quelques visages qu’il peut bien connaître ; à gérer plusieurs dossiers, il croise très souvent des avocats. Certains qu’il apprécie et d'autres non. À chacun ses préférences ; lui n’est pas là pour l’argent. Il est là pour les gens.
Au loin, une chevelure rousse. Lili fronce des sourcils, accélère le pas ; les filles suivent facilement, ayant peut-être reconnues l’odeur de Nuage. Le regard se pose sur un panneau interdisant l’accès, mais Lili ne s’arrête pas. Il pousse la porte en lançant un bref regard derrière lui, se laisse guider par Louisa qui, sans gêne, tire un peu plus brusquement sur la laisse. Elle a reconnu Nuage.
- Nuage, qu’il souffle. L’agent de probation observe son dos et hésite une seconde avant de lâcher la laisse de Louisa. La chienne ne court pas, mais va plus rapidement vers l’autre homme. L’agitation lui donne envie de passer une main dans ses cheveux ; ils sont trop bien coiffés pour cela. Même ses vêtements, normalement plus simples, sont plus propres qu’à l’ordinaire. Du moins, si on oublie le poil des chiens qui y collent déjà.
Un soupir quitte ses lèvres à voir le rouquin bouger quand, plutôt sage mais insistante, Louisa se presse contre ses cuisses. Lili s’approche enfin. Il ne lui demande pas si ça va. Il sait que ce n’est pas le cas.
- Les filles s’inquiétaient ; lui aussi, mais Lili ne le précise pas. Sally a déféquer dans le couloir toute à l’heure. T’aurais ri de moi Lili n’a pas ri, sur le moment. Il s’arrête à ses côtés, lui offre un sourire simple, léger. Le regard reste inquiet. Est-ce que tu veux que je t’aide d’une quelconque manière ? Je suis là, Nuage. Ils sont là.

Le regard reste posé sur Nuage ; Lili l’étudie avec une certaine inquiétude sans pour autant le traiter d’une manière différente. Il n’a pas envie de traiter Hae-un d’une quelconque autre façon ; être honnête avec lui a toujours été la fondation même de leur relation et Li-Seok n’a aucun désir de changer les choses ; n’y pense même pas. Mine de rien, il est encore surpris par la manière dont le dialogue se fait naturellement. Il essaie de trouver les mots justes, mais y réfléchir trop longtemps l’éloigne trop souvent de son idée de base. Alors, Lili parle avec logique et avec son coeur, simplement. On dirait qu’ainsi, les choses fonctionnent bien.
- Pour le coup elle l’a été, mais j’sais pas trop si c’était pour les bonnes raisons. Disons que Lili a dû se rendre aux toilettes pour aller chercher un peu de papier ; elle avait laissé quelques traces à se frotter les fesses au sol. Un exploit vraiment. Elle a un procès avant l’tien, du coup Il sourit un peu, Lili, en le lui disant.
Il aimerait croiser le regard de Nuage, mais qu’importe. Lili sait qu’il est fuyant ; il l’a toujours été. C’est pour ça qu’il est aussi précieux ; qu’il est toujours réconfortant de le croiser, même pour une seconde.
- Hmm.. tu penses pas ? Il hoche de la tête et hume, grimace et soupire un peu. Lili caresse la tête de Sally. J’dois mal faire mon travail alors. Faut que je fasse une nouvelle formation selon toi ? Le regard quitte Nuage pour aller d’un côté du couloir, puis l’autre. Ça va - c’est pas grave. Je dirais que l’une des filles a vu un truc, si on nous intercepte. Les filles servent souvent d’excuses. Avec leurs beaux visages, personne ne peut vraiment résister.
Son coeur se fend ; le regard retombe sur Nuage et Lili n’avance pas, ne s’approche pas. Ce n’est pas l’envie qui manque ; mais entre eux, les choses ont toujours été ainsi. Nuage a besoin de son espace.
- Hae-un, qu’il prononce ; Lili cherche son attention. Il penche sa tête pour tenter de croiser son regard. T’es avec moi. Avec Louisa, Sally, Rihanna et moi. D’accord ? On te lâche pas. La voix est douce et ferme à la fois. Lili lui adresse un sourire simple, sans excès. Tu préfères compter avec moi ou suivre la respiration de Louisa ? Attention, tu risques d’entendre son ventre gronder par contre. Louisa a une digestion qui fait des bruits de tonnerre, souvent. Lili s’est déjà réveillé sous l’odeur de ses gaz. Un enfer. Viens. On s’assoit contre le mur, d’accord ? Juste deux minutes. Lili désigne le mur en question, fait quelques pas et s’assoit. Sally soupire, fait un tour sur elle-même et fait la même chose. Rihanna préfère le milieu du couloir. Viens. On a le temps, promis. Un message a déjà été envoyé à l’avocate, lui demandant 10 minutes.

La tête appuyée contre le mur, Lili observe Nuage. C’est ce qu’il fait depuis des mois ; l’observer et apprendre à le connaître, évaluer ce que Nuage représente pour la société, pour sa propre personne et pour lui-même. Le travail l’exige ; le coeur le réclame maintenant. Mais Li-Seok ne se laisse pas prendre par ses propres émotions ; par l’amour qui demande à éclore. Il sait taire certaines choses pour se concentrer sur ce qui est plus important ; sur le bien être de Nuage. Il ne pense qu’à cela, ses propres doigts tremblants d’une inquiétude fantôme qui l’habite de plus en plus chaque jour. Peu importe ce qu’il peut dire pour rassurer Hae-un, le procès est aussi une source d’angoisse pour l’agent de probation. Il veut le meilleur pour lui ; sait que retourner en prison sera la pire des choses, vraiment. Lili ne désire même pas y penser, mais doit le faire.
Est-ce que Hae-un sait qu’il est anxieux également ? Li-Seok espère que non. Il veut paraître fort et en confiance, pour lui. Il a peur de l’impossible. De la fatalité qui hante ses cauchemars. Il a confiance en lui ; confiance en son cheminement, ses avancées, la personne qu’il est.
Hae-un ne mérite pas la prison. Il faudrait être aveugle pour penser le contraire.
- Laisse moi m’occuper du temps, d’accord ? Il demande simplement, un sourire calme sur les lèvres. Lili ne contrôle pas grand chose, mais il peut lui accorder quelques minutes. Une petite paix avant de plonger dans la tempête. Elle attend, la tempête. Il est impossible de l’ignorer. Mais Lili peut apaiser son coeur, un peu, avant qu’il n’y plonge.
Les lèvres se tordent un peu plus, à la vue de Louisa qui prend de la place, qui écrase Nuage.
- Oui ; le ton est simple. Les mots sincères. Tu crées des problèmes. Tout le monde en crée. Li-Seok caresse Sally, en parlant. C’est la vie, non ? C’est comme ça. Ses lèvres se tordent à voir Sally rouler sur le dos, exposant son ventre pour y avoir des caresses. Y’a aucun mal à créer des problèmes, Nuage. Est-ce que tu veux les régler ? Est-ce que t’es prêt à appeler à l’aide et tendre la main quand t’en as besoin ? C’est ça, l’important. Je pense que oui personnellement. Je trouve que tu l’as très bien fait, dans les derniers mois. Le regard quitte la chienne ; l’arrière de la tête s’appuie contre le mur et Lili sourit à Nuage, sincère. Ils me dérangent pas, tes problèmes. Ils font partis de toi. Et ils dérangent pas non plus ceux qui t’aiment ; j’en suis persuadé. Il y a le frère de Hae-un qui est là quelque part. Il y a MinHo qui lui envoie des messages depuis ce matin, pour prendre de nouvelles. Inquiet pour son ami mais préférant lui envoyer des bêtises que de venir aux nouvelles à chaque deux minutes.

Li-Seok n’est pas aveugle. Il constate ; sait depuis les dernières semaines qu’il peine à faire une coupure entre les deux ; entre l’homme qui éprouve des sentiments et l’agent de probation. Mettre un mot sur ses sentiments et se les avouer pleinement n’a pas aidé en la chose. Il sait ; le plus simple pour s’en laver les mains et passer à autre chose aurait été d’abandonner le dossier de Nuage, de l’offrir à quelqu’un d’autre. Mais Li-Seok ne désire pas une telle chose, ne l’a jamais désiré et préfère encore devoir travailler plus fort, étouffer ce qu’il ressent et devoir de ressaisir à plusieurs occasions que de laisser Hae-un seul. Il ne se juge pas saint, il ne se voit pas comme son sauveur. Lili ne possède aucunement une telle arrogance et ne veut pas de ces rôles, non plus. Il sait que les chiennes ont obtenues une place confortable, une place de confiance chez Nuage et qu’elles aident, et que lui aussi le peut, à un certain degré. Il sait que la chose a pris du temps et que replonger Hae-un dans un tel processus ne serait que lui tirer une balle dans le pied.
- Je les porterais pour toi si je pouvais., qu’il lâche. Ses problèmes, ses préoccupations. Li-Seok aimerait le libérer d’un poids, mine de rien. Il lui offre un sourire fatigué en disant la chose, éloigné du ton professionnel qu’il devrait aborder. Ils sont seuls, de toute manière. Les heures sont comptées. La fin de leur relation professionnelle approche. Le reste appartient à Nuage. Connaissance ou ami, Li-Seok ne sait pas quel rôle il aura. Il ne questionne pas ; veut uniquement la liberté de l’homme qu’il aime.
Nuage le surprend.
- Quoi ? Il fronce des sourcils comiquement, Lili. Son regard tombe sur Louisa et il l’observe. Tu penses ? Non, quand même pas. Louisa a toujours été large, mine de rien. C’est pas plutôt la première fois qu’elle s’écrase autant sur toi ? Normalement elle fait attention à cause des gamins de Lou. Lili refuse d’avouer que sa pauvre fille a grossi.
L’agent lui fait un signe de tête.
- Pose ta main contre son coeur, qu’il dit, en désignant Nuage. Il lui proposerait bien le sien ; le battement est toujours régulier, toujours le même. Mais personne n’aime écouter son coeur. Et ferme les yeux, juste une minute Les filles sont souvent son ancrage. Lili peut toujours compter sur elle. D’une main absente, il caresse encore Sally. Elle a le coeur solide, Louisa. Elle peut l’être pour toi. qu’il continue. Li-Seok pourrait parler de lui-même, s’il écoutait ses propres envies ; il parle de Louisa. Les choses sont mieux ainsi. Y’a aucun mal à être moins solide par moment. On est là pour t’aider si t’as besoin d’un moment, si tu tombes ou qu’importe. Pour prendre une pause quand l’monde entier est trop lourd.

Li-Seok se tait ; parfois, parler n’est pas utile. Le silence est lourd et doux, les deux à la fois. Les pensées bourdonnent et sont silencieuses ; un bruit si présent que Lili n’entend plus rien. Il observe Nuage ; son client et Louisa ; son amour et l’une de ses filles. Des mondes différents, des sentiments différents. Il ferme les portes et les fenêtres et ignore ; tâche de ne pas penser à ce qui est une évidence, pourtant. Il y aura des jours pour ça ; des moments pour ça.
Les priorités sont ailleurs, solides et difficiles à ignorer. Lili n’en a que faire de son coeur ; trop souvent le centre du sujet, trop souvent le centre des problèmes. Il sait bien qu’il ne fait pas souvent les bons choix, que ses amis posent des regards inquiets sur lui et jugent, veulent décider à sa place et le mettre en garde.
Son coeur est son meilleur allié, son pire ennemi.
Lili l’écoute à chaque fois ; il bat trop fort pour être ignoré dans tous les cas.
Et il bat d'un bruit sourd et fort, sans accroc jamais, alors qu’il observe Nuage les yeux fermés, presser contre Louisa. La chienne s’occupe de lui. Il espère que sa présence le rassure.
De son côté, l’agent de probation a fait de son mieux.
Il a confiance en son dossier ; leur dossier. En les gens ? Un peu mieux. Mais il connaît le juge qui s’occupe de leur cas aujourd’hui, et Li-Seok sait que la femme possède un bon jugement. Il a foi en elle ; il la sait tête sur les épaules. Elle ne vient pas de l’Underapple, mais elle s’est toujours montrée clémente et juste.
Lili ne peut que fermer les yeux, et peut-être prier, juste une fois, même s’il n’aime pas ça. Hae-un mérite toutes les chances de son côté.
- T’inquiètes ; j’bouge pas. Peu importe ce que Nuage veut de lui, peu importe combien de fois ils se verront à l’avenir. Lili accepte tout, même le silence, même la fin de leur relation. De leur amitié. Tout, pour autant que Nuage retrouve sa liberté. Il la mérite.
Lili se demande, brièvement, si un Nuage libre sera un Nuage différent. Il espère que ça sera un Nuage heureux, au moins.
Il le mérite.
Contre lui, Sally s’agite. Li-Seok finit par se relever, lui gratte les côtes et joue brièvement avec Sally et Rihanna à la bagarre. La chose est de courte durée, mais elles sont heureuses.
Le regard tourné vers Nuage, quand il parle. Li-Seok lui adresse un sourire léger. Il hoche de la tête.
- Une dernière fois, ouais ? Allez. Il fait un signe de la tête ; siffle pour que Louisa se lève, se redresse. Le regard est surpris lorsque Nuage tend les doigts.
Cette fois-ci, aucun gant pour couvrir les siens. Li-Seok s’est mis propre pour l’occasion, juste un pantalon noir et une chemise, rien de très sensationel. Mais les doigts sont libres, la chemise un poil trop petite. Li-Seok n’a pas eu le temps d’en acheter une nouvelle ; quelques muscles supplémentaires ont poussé à trop aller à la salle. Peu importe
Nuage lui tend la main.
Li-Seok s’en empare et l’aide à se redresser.
Et il le fera autant de fois qu’il aura besoin de son aide.

Les procès se ressemblent tous. Ils sont tous différents, pourtant. Li-Seok ne s’y habitue pas, peu importe le nombre d’années écoulées depuis qu’il a obtenu son diplôme. Le processus est aussi cruel que juste, tout dépendant des jours. Il aimerait que son opinion soit la seule vérité juste mais sait aussi qu’il faut un équilibre à tout. S’il a conscience en ses propres pensées et son propre jugement, il peut seulement croiser les doigts lorsqu’il est question des autres.
Il sait que certains ne sont pas justes ; qu’une mauvaise journée passée peut changer le résultat d’un procès.
Li-Seok se sent plus tendu qu’à l’ordinaire. Le regard qui cherche à croiser celui de Nuage, les doigts qui se perdent trop souvent dans le pelage des filles. Il sent ses nerfs à vif ; a l’impression que son coeur manque des battements. L’impossible qui prend forme.
Son nom est appelé à la barre. Les filles restent loin de lui ; pour la cause, pour bien faire.
Assises et droites, elles restent où elles sont. Proches de Nuage et loin à la fois. Li-Seok aurait aimé lui laisser les laisses.
Peu importe.
Il croise son regard, brièvement. Li-Seok lui fait un léger signe de la tête, un rien, presque rien. Tout est dans le regard, sûrement.
Les questions tombent ; venant de l’avocate et de l’autre aussi. Li-Seok répond à chaque fois ; parle des exploits de Nuage, des problématiques, des avancées. Quand on lui demande son avis, il conseille ; un thérapeute de son choix, quelque chose pour offrir des outils supplémentaires à Nuage. Qui ? Peu importe. Nuage peut choisir. Li-Seok a une liste de gens de confiance. Il ne le voit pas comme une imposition ; juste comme une aide supplémentaire. La conversation a eu lieu avec Hae-un déjà, à ce sujet. Li-Seok se demande s’il a oublié ou non.
L’avocate ne parle pas de ses sentiments. Le sujet n’est pas évoqué.
C’est l’autre, brièvement, qui demande. Non pas sur ses sentiments, mais leur relation.
Li-Seok répond : J’ai énormément de respect pour lui. Je lui souhaite de bonnes choses pour l’avenir. Je le trouve admirable pour tout le progrès qu’il a accompli. Je ne doute pas qu’il en fera d’autres à l’avenir.
Le regard dévie, croise le sien. Li-Seok offre un léger sourire, bref, avant de regarder l’avocat de nouveau. Les questions continuent.
Elles continuent jusqu’à temps qu’il n’y est plus rien.
Puis, le silence. Le temps du verdict.
Ils attendent. Une éternité ou deux minutes, qui saurait dire.
Li-Seok aimerait accorder le droit à Louisa de se presser contre Nuage ; il peut entendre la chienne se plaindre, tout bas, et vouloir le faire.
Le verdict tombe ; les heures à exécuter en travaux communautaires. Dix-huit heures ; Trois heures par semaine, chaque dimanche, dans un centre alimentaire pour les sans-abris, pendant six semaines.
Et puis, la liberté.