Winter ;; Bella

“Perhaps this is what the stories meant when they called somebody heartsick. Your heart and your stomach and your whole insides felt empty and hollow and aching.” @Kenneth Brown

FÉVRIER 2018 ;

Bella possédait ce que beaucoup dans son entourage considéraient comme un défaut : elle avait tendance à lire en même temps qu’elle marchait et par conséquent, à ne pas trop regarder où elle mettait les pieds. D’ordinaire si vigilante, la jeune femme oubliait l’espace d’un instant qu’elle était censée faire attention où elle allait. Elle avait perdu le compte du nombre de fois où, à l’université, elle avait percuté de plein fouet d’autres étudiants parce qu’elle avait le nez collé à ses livres ou dans ses notes. À chaque fois, c’était la même chose : les papiers et les stylos volaient dans tous les sens, on s’excusait, on lui demandait de regarder où elle allait, on s’agenouillait pour ramasser ses biens et tout le monde repartait de son côté ; elle, avec le rouge aux joues. Tout juste officiellement chirurgienne, fraîchement intégrée à l’unité médicale de CERBER, elle avait tenté de perdre cette mauvaise habitude au début, avant de la retrouver à peine croyait-elle s’en être débarrassée. Ses collègues avaient fini par s’y faire, ils s’écartaient de son chemin ou la décalaient subtilement vers un côté ou un autre pour éviter la collision. Ceux qui n’hésitaient pas à mettre leur vie entre ses mains entre les murs de son bureau ou dans un bloc opératoire riaient de son apparente incapacité à marcher droit sans foncer dans qui que ce soit. Une fois n’étant pas coutume, elle était une fois de plus plongée dans la lecture appliquée d’un dossier en même temps qu’elle traversait l’un des nombreux couloirs de l’unité, où il y avait pourtant du monde. La mécanique était bien rodée ; elle arrivait, on s’écartait. Un microcosme parfait, tout en harmonie. Ou presque. Visiblement, quelqu’un n’avait pas eu le mémo. Le temps que Bella réalise qu’elle fonçait droit sur quelqu’un, il était déjà trop tard pour éviter la collision. Pour le coup – c’était le cas de le dire – le choc fut rude. Elle eut l’impression de rencontrer un mur, le dossier lui échappa, son crayon s’envola et disparut pour le restant de ses jours, un café à peine servi termina sa courte vie sur le carrelage, Bella glissa dessus et sans les merveilleux réflexes de sa victime taillée comme une armoire à glace, elle aussi aurait fini au sol, dans un mélange de café, de douleur et d’embarras. Elle avait à peine eu le temps de réaliser son erreur et sa perte d’équilibre que déjà une poigne ferme la rattrapait par le bras et lui évitait la catastrophe. Yeux écarquillés, cœur cognant de surprise dans sa poitrine, elle releva les yeux sur… Un inconnu ? « Oh. Wow. » Ah, ce n’était pas très éloquent de sa part, ça. Il fallait dire que c’était la première fois qu’elle se retrouvait bouche-bée face à un parfait étranger. « Je veux dire… Désolée. Désolée pour le café. Je ne regardais pas devant moi… » Là, elle regardait mieux. Très bien, même. Peut-être un peu trop, puisqu’elle se sentit rougir jusqu’à la racine des cheveux, tant qu’elle finit par détourner le regard. C’était risible, digne d’une comédie romantique.


FÉVRIER 2026 ;

Ou un film d’horreur. Ce n’était pas la surprise qui lui avait fait ouvrir grands les yeux, c’était l’effroi. À la seconde où elle avait relevé la tête, elle avait pâli, s’était décomposée, avait bien cru que son cœur allait lâcher et avait eu le mouvement de recul le plus marqué de toute son existence. Sur l’instant, Bella crut à une hallucination. Un mirage, une mauvaise farce, une tromperie de son esprit. N’importe quoi qui expliquerait de façon plausible pourquoi elle voyait un mort. Sa gorge se serra aussi sûrement que si quelqu’un avait refermé des doigts froids dessus, elle fut prise d’un vertige qui la fit vaciller avant qu’elle ne se reprenne dans un sursaut. Elle secoua la tête vivement, comme un effort désespéré de faire disparaître la vision cauchemardesque qui était apparue devant elle. Mais il n’y avait rien à faire, elle ne disparaissait pas, il ne disparaissait pas. Oublié le porte-documents qu’elle avait laissé lui glisser des mains, tant pis pour le satin de ses escarpins éclaboussé par la boisson chaude. Aucune pensée cohérente ne parvenait à se former dans son esprit et tous les mots restaient bloqués dans sa gorge. Elle avait beau vivre et évoluer dans un monde où tout semblait être devenu possible, il lui semblait que ce qu’elle avait sous les yeux était profondément inhumain, au sens premier du terme. Rien n’expliquait la présence de cet individu-là devant elle. Elle se remémorait trop bien les années qui s’étaient écoulées depuis la dernière fois où elle l’avait vu, depuis la dernière fois où elle avait entendu le son de sa voix. Elle se souvenait avoir soupiré de soulagement quand il avait refermé la porte derrière lui pour la dernière fois, puis de la culpabilité qui l’avait envahie quand elle s’était surprise à ressentir la même chose quand on lui avait annoncé qu’il ne l’ouvrirait plus jamais, cette même porte. Elle s’en souvenait trop bien pour l’avoir rêvé ou fantasmé. Elle avait eu entre les mains les papiers qui l’attestaient, elle les avait signés… Bella ouvrit la bouche, mais elle n’eut qu’un sanglot étouffé en guise de mots. Elle se noyait, s’étranglait avec sa propre incompréhension. Ce fut plus fort qu’elle, elle recula encore d’un pas, secouant la tête comme une démente. Quand l’impossible devenait possible, que restait-il d’autre que le déni pour se raccrocher à la réalité que l’on connaissait ? Elle porta une main tremblotante à sa gorge ; tentative vaine de retrouver son souffle. « Ehvan… ? » Non. Ça ne pouvait pas être lui. Il y avait une autre explication, les morts ne ressuscitaient pas. Il était mort, elle avait identifié son corps, elle l’avait enterré. Et avec lui, les cendres de leur mariage et de leur bonheur parti en fumée.

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Bella avait l’impression que le sol allait se dérober sous ses pieds. Ou que ses jambes allaient lâcher, cesser de la porter d’ici une seconde ou deux, aussi sûrement que si on les lui avait coupées. En un espace, toutes les explications rationnelles se bousculèrent dans son esprit, tentant de s’imposer les unes après les autres, sans aucune n’obtienne un quelconque succès. Il n’y avait rien, absolument rien qui ne fasse sens à cet instant précis. N’importe quoi d’autre lui aurait paru plus réaliste. Peut-être qu’elle était tout à coup victime d’une hallucination cruelle. Peut-être qu’un étrange et insoupçonnable problème neurologique avait décidé de se manifester au détour d’une machine à café et de revêtir l’apparence de la personne qu’elle avait aimé le plus au monde avant que son cœur ne ressemble plus qu’à une bouillie infâme qui avait toutes les peines du monde à continuer à battre. Peut-être même qu’elle était devenue folle sans raison aucune. L’ironie du sort voulait qu’elle avait longtemps discuté avec un psychiatre un peu plus tôt dans la journée et qu’elle lui avait paru tout à fait saine d’esprit. Là, debout et tremblotante face au spectre de chair et d’os de l’homme qu’elle avait enterré presque quatre ans plus tôt, elle en doutait. Elle doutait de son bon sens, puisqu’il la dévisageait avec une incompréhension trop innocente pour être feinte. S’il y avait bien une chose qu’Ehvan n’avait jamais été, c’était un bon comédien. Ses expressions et ses mimiques l’avaient toujours trahi, là où Bella était capable de supporter le pire en gardant le sourire aux lèvres. Il la regardait comme une étrangère. Et pour une raison qu’elle aurait été incapable d’expliquer sur l’instant, ça lui creva le cœur aussi sûrement qu’une balle. La dernière fois qu’il avait posé les yeux sur elle, il l’avait regardée avec toute la douleur du monde au fond de son regard et parce qu’elle avait été incapable de le supporter, elle lui avait tourné le dos et l’avait ignoré jusqu’à être sûre qu’il avait capitulé et s’était détourné d’elle. La dernière chose dont elle se souvenait, c’était de lui avoir tourné le dos volontairement, presque cruellement, quand il était venu se coucher à ses côtés. Puis elle avait été réveillée par la porte de l’appartement qui avait claqué, et elle s’était rendormie soulagée. Elle l’avait été, jusqu’au coup de téléphone de son père, quelques heures plus tard. Il n’y avait eu personne pour l’entendre hurler à la mort une fois qu’elle avait raccroché.

Elle eut envie de rire, à cette question posée si innocemment. Comment elle se sentait ? On aurait pu lui arracher le cœur, le piétiner et lui faire avaler les restes par la suite que ça n’aurait pas été pire. Il n’y avait tout simplement aucune réponse à cette question, alors elle ne répondit rien. Pour les quelques témoins de la scène, ce devait être étrange. Un tout petit accident de rien du tout, et elle donnait l’impression qu’elle allait y laisser sa peau. Plus elle le regardait et plus les doutes s’évaporaient et auxquels se supplantaient une myriade d’interrogations. Ça n’avait pas le moindre sens, mais elle savait que c’était lui. Ehvan Griffin, elle l’avait trop aimé pour le confondre avec un autre, même un double convaincant. Elle se fit violence pour rassembler les miettes de son courage et balbutier quelques mots d’une voix qui n’était pas tremblante, mais déjà brisée. « Tu es mort. Tu es mort. Je t’ai enterré. Tu es mort… » C’était à peine plus audible qu’un murmure ; tentative aussi vaine que désespérée de se reprendre, de retrouver un semblant de maîtrise de soi pour ne pas chanceler et finir comme son dossier, étendue sur le carrelage froid dans une mise en scène pitoyable. Elle fut tentée une seconde de se pencher pour ramasser les papiers, mais comprit bien vite que si elle s’y risquait, elle ne se relèverait pas. Elle était figée dans une position raide, expression horrifiée sur le visage, comme les malheureux de Pompéi éternellement pétrifiés dans leurs derniers instants de terreur. Et sans qu’elle ne s’y attende, une vague de colère qui la submergea ; l’instinct de survie qui semblait reprendre le dessus. En matière de réponse traumatique, il y avait généralement quatre types de réponse : la lutte, la fuite, l’immobilisation ou la soumission. Et après avoir été assommée par un savant mélange des trois dernières, Bella vit la quatrième surgir de ses entrailles comme une vague déferlante. Ses joues retrouvèrent de la couleur, elle serra les poings et osa faire un pas en même temps qu’elle haussa – à peine – le ton. « Je t’ai enterré ! Je t’ai enterré il y a quatre ans, je t’ai… » Pleuré ? Haï ? Les deux à la fois et un peu plus tous les jours ? « Où est-ce que tu étais ? Pendant tout ce temps, où est-ce que tu étais ? Est-ce que tu… » Oh non, elle n’allait tout de même pas poser cette question aussi brusquement à un homme qui semblait ne pas avoir la moindre idée de ce qui était en train de lui arriver, de leur arriver ? « Est-ce que tu nous a abandonnées ? Est-ce que tu as vraiment fait ça ? » Mais elle l’avait vu. Elle l’avait enterré. Rien, absolument rien, n’était possible. Alors, pour l’amour du ciel, qui se tenait devant elle ?

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Bella avait envie de hurler. Et pourtant, quelque chose lui disait que si elle se risquait à essayer, tout resterait bloqué dans sa gorge et elle ne ferait que s’étrangler. Quelle entité divine avait-elle bien pu offenser pour se retrouver ainsi au centre d’une tragédie ? C’était si absurde que c’en était presque risible. Après tout, qui n’avait jamais ri de ces fictions où le mari revenait d’entre les morts ? D’ordinaire, Bella était douée, peut-être un peu trop, pour dissimuler ses émotions, les ravaler, les mettre de côté, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus personne pour la voir perdre pied. Entre les quatre murs de sa chambre, les larmes coulaient souvent, en silence, et il n’y avait ensuite rien d’autre que ses yeux un peu rouges pour trahir ses sanglots. Là, c’était trop. Impossible pour elle de prétendre que c’était une situation quelconque, ou du moins une situation qu’elle soit en mesure de gérer sans perdre le contrôle de ses nerfs. À sa place, qui aurait pu se vanter d’avoir une réaction différente ? Elle avait l’impression que le passé qu’elle pensait avoir enterré – littéralement – venait de lui être renvoyé au visage comme une brique, pulvérisant au passage l’espoir d’un futur paisible. Elle semblait l’avoir compris en une milliseconde ; cet instant terrible où l’on comprend que quelque chose de terrible est sur le point de se produire, sans avoir aucune chance de l’éviter. La certitude que sa vie venait de prendre le mauvais chemin, mais que faire demi-tour n’était pas une option. Alors, oui, Bella avait envie de hurler. Au moins autant qu’elle avait envie de se jeter au cou de l’homme qui la regardait avec incompréhension. Pour l’enlacer ou l’étrangler, elle n’en savait rien ; c’était là la première chose qui aurait dû l’inquiéter.

Il fallait qu’elle se reprenne. Que, d’une façon ou d’une autre, elle trouve une chose à laquelle se raccrocher pour s’ancrer de nouveau à la réalité. Il y avait forcément une bonne explication à ce qui prenait l’apparence d’un odieux miracle. Elle secoua la tête plusieurs fois, prit une profonde inspiration. Elle aurait voulu réussir à détacher ses yeux de la silhouette qui lui faisait face ; la carrure n’était plus la même, la musculature avait fondu. Mais elle n’aurait jamais pu s’y tromper. C’était le même regard. Ses yeux, c’était la première chose qu’elle avait remarquée chez Ehvan. Ses iris sombres dans lesquels elle s’était si souvent perdue, qui la regardaient avec une adoration qu’elle n’avait jamais connue auparavant. Elle s’y était habituée vite, trop vite. Elle n’aurait pas pu l’oublier. Pas quand ce même regard l’avait empêchée de trouver le sommeil pendant des mois, envahi ses rêves comme ses cauchemars jusqu’à ce jour encore. Elle aurait pu douter d’un millier de choses… Mais pas de ça. Jamais. « Ne fais pas ça. Ne me parle pas comme si tu ne me connaissais pas. Ne me regarde pas comme si tu ne me connaissais pas. » Bella eut un frisson glaçant ; celui qui était accompagné des prémices d’une vérité et d’une réalité impossibles à admettre. Elle devint plus pâle qu’elle ne l’était encore, c’était un miracle que ses jambes la portent encore. Après l’envie de hurler, celle d’éclater en sanglots. C’était trop pour son esprit déjà fracturé, trop pour la femme, l’épouse, la veuve, la mère, qui essayait désespérément de reconstruire sa vie, brique après brique. Il lui semblait tout à coup que la structure était aussi branlante qu’un château de cartes, qu’une simple brise avait suffi à balayer.

Elle porta une main à sa gorge, presque pour s’assurer que rien ne l’étrangler, tant elle avait la gorge serrée. « Le 13 janvier 2022. Je t’ai enterré le 13 janvier 2022. » Il faisait gris, ce jour-là. Quelques gouttes étaient tombées pendant la cérémonie, comme si le ciel s’offusquait de ne pas la voir verser de larmes et avait décidé de lui en donner. Bella se souvenait encore trop bien du mal qu’elle avait eu à rester debout pendant la cérémonie, à chanceler sur ses pieds, les deux mains sur son ventre rond. La poigne d’Alexander, qui l’avait discrètement retenue quand elle avait manqué de s’écrouler. Toutes ces souffrances… Et pour quoi ? Pour faire face à un revenant quatre ans plus tard ? Une grimace tordit sa bouche, une vague de culpabilité l’envahit. Elle aurait dû être heureuse. Sauter de joie. Combien auraient donné n’importe quoi pour être à sa place ? Mais ce n’était pas une bonne nouvelle pour Bella. Ce n’était rien d’autre que le début d’une nouvelle bataille dans laquelle elle n’avait pas la moindre envie de s’engager. Ses pensées étaient confuses, elle ne savait pas ce qu’elle était censée faire. Prendre ses jambes à son cou, appeler à l’aide (qui ?), faire comme si elle ne l’avait jamais vu et reprendre le cours de sa vie comme si de rien n’était ? À cet instant précis, aucune de ces options ne lui semblait être la bonne. Son cœur tambourinait dans sa poitrine comme un tambour de guerre, elle avait froid et chaud en même temps, ses mains tremblaient tant qu’on ne l’aurait pas prise pour une chirurgienne chevronnée. Tout ce qu’elle possédait de confiance s’était évaporé en un instant. Elle ne savait pas ce qu’elle était censée faire, ni même s’il y avait quelque chose à faire… Et entre comédie cruelle et vérité insoutenable, c’était comme avoir à choisir entre la peste et le choléra. « Tu es… Tu es censé être mort il y a quatre ans. Je t’ai enterré. Je… » Ses yeux étudièrent la silhouette et accrochèrent un anneau autour de son cou. Ce fut trop pour Bella, elle ne parvint pas à ravaler un premier sanglot. « Je suis ta femme. »

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Son cœur cognait si fort dans sa poitrine que c’en était douloureux ; comme s’il allait exploser ou s’arrêter d’un coup. En fin de compte, peut-être que ce que lui avait un jour dit Alexander au cours de l’une de leurs rares conversations était vrai : le passé n’était jamais là où on pensait l’avoir laissé. Ses certitudes s’étaient brisées, remplacées par une myriade de questions qui bouillonnaient dans son esprit. Que s’était-il passé pendant ces quatre années ? Où était-il ? Pourquoi ne s’était-il pas manifesté ? Qui avait-elle enterré à sa place ? Il y avait de quoi devenir folle. Elle se souvenait d’avoir identifié son corps, ce n’était pas le genre de choses que l’on oubliait. Elle l’avait vu mort et pourtant l’homme qui lui faisait face était bien vivant. Il avait changé, c’était évident au premier regard, mais c’était bien lui. Comment était-on supposé réagir en pareille situation ? Il n’existait aucun manuel, aucune règle. Parce que ce n’était pas censé arriver. Même dans un monde où tout semblait être devenu possible, les morts ne revenaient pas d’outre-tombe. Ce n’était pas un phénomène courant, ordinaire, auquel n’importe qui pouvait s’attendre. Le deuil était l’une des expériences les plus difficiles de la vie humaine ; on s’en remettait rarement tout à fait. Confrontée plus que de raison à la mort, Bella avait fini par comprendre une chose : la douleur ne disparaîtrait jamais, il faudrait juste lui faire de la place et s’habituer à sa présence. C’était d’autant plus difficile que Bella revoyait Ehvan tous les jours, dans les traits de leur fille. Elle eut un sursaut lorsqu’elle pensa à Rosaline. Cela faisait bientôt quatre ans qu’elle lui expliquait les raisons de l’absence de son père. À peine était-elle née qu’elle lui avait dit la vérité, même si elle était bien trop petite pour comprendre quoi que ce soit, pour lui éviter à grandir avec l’ombre de son père. Petit à petit, elle était parvenue à lui expliquer les choses. Ce n’était pas évident d’aider un enfant à appréhender le concept de la mort ; encore moins celle d’un parent. Rosaline avait fini par le comprendre, et s’il lui arrivait de poser des questions à propos de son père, elle savait qu’elle ne le rencontrerait jamais. Et maintenant… ? Si Bella avait l’impression que son univers tout entier venait d’être bouleversé, elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle allait bien pouvoir dire à sa fille. Son instinct lui dictait de faire tout, absolument tout pour la protéger. C’était pour elle qu’elle avait eu l’intention de demander le divorce, et sa garde exclusive dès sa naissance. Elle ne l’avait jamais admis à personne, mais d’une certaine façon, la disparition d’Ehvan avait facilité les choses. S’il n’y avait eu qu’elle, peut-être aurait-elle tenté davantage pour le sauver de lui-même. Mais ses priorités avaient changé à la seconde où le test de grossesse s’était avéré positif.

Mâchoires serrées, Bella attendait une explication ; n’importe laquelle. Elle avait le droit de savoir pourquoi il avait disparu, pourquoi il était là. Oh, elle n’était pas naïve au point de croire qu’elle aurait toutes les réponses d’un coup et qu’elle pourrait se contenter de tourner les talons et retourner à sa vie comme si de rien n’était. C’était trop tard pour ça. Elle grimaça aux premiers mots. Il ne se souvenait de rien… ? On aurait dit une plaisanterie de mauvais goût. Une excuse facile pour se tirer d’une situation inconfortable. Seulement, même quatre ans plus tard, Ehvan n’avait toujours rien d’un fin manipulateur. La sincérité qu’elle voyait dans ses yeux ne pouvait pas être feinte, pas plus que cet air d’incompréhension horrifiée. Ce fut plus fort qu’elle, Belle eut un petit rire nerveux. Une amnésie traumatique. C’était presque risible tant c’était… Injuste, c’était le premier mot qui lui venait. Il aurait eu le droit de tout oublier, quand elle devait porter le poids de tous leurs souvenirs ? Elle secoua la tête, son incrédulité vite balayée par une vague de tristesse et de frustration mêlées. Que pouvait-elle répondre à ça ? Elle eut, pendant une seconde, envie de ramasser ses documents et prendre la fuite. S’il ne la reconnaissait pas, s’il ne se souvenait de rien, elle pouvait disparaître comme si de rien n’était et continuer à vivre sa vie… Il aurait fallu pour cela que sa conscience ne pèse pas une tonne. Elle n’avait jamais été capable de laisser qui que ce soit dans une position de faiblesse ou de douleur ; pas même ceux qui l’avaient blessée au plus profond de son âme. Faisant mine d’ignorer les larmes qui avaient commencé à couler sur ses joues, elle fouilla dans son sac à main pour récupérer son téléphone. Il lui fallut un moment pour mettre la main dessus, un autre pour le déverrouiller, encore un pour naviguer dans les divers albums photos. Pourquoi est-ce qu’elle avait transféré ses anciens albums sur son nouveau téléphone ? Elle ne s’était jamais posé la question. Elle ne les regardait jamais, mais elle les avait. Son cœur se tordit quand elle s’arrêta sur une photo d’eux. S’il ne se souvenait véritablement de rien, elle allait lui épargner le choc des photos de leur mariage. Une simple photo d’eux au Serendipity Garden ne serait pas forcément plus simple à avaler, mais… Il fallait bien qu’elle lui prouve qu’elle ne mentait pas. Et après tout, pourquoi devrait-elle être la seule à souffrir le martyre ? Elle lui tendit le téléphone, le regard bas, presque gêné. « Nous nous sommes mariés le 20 mars 2019. Tu es mort… » Bella secoua la tête, cherchant ses mots. « Je te croyais mort depuis le 10 janvier 2022. » C’est étrange, elle donne l’impression de se justifier alors qu’elle ne lui doit rien. Mais si elle avait su qu’il était en vie… Peu importait ce qu’il pouvait y avoir eu entre eux, elle aurait bien été incapable de l’abandonner.

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La vague de tristesse qui avait submergé Bella menaçait de la noyer. Elle ne savait pas par quel miracle elle tenait encore debout, elle avait l’impression de ne plus sentir ses jambes. Ce n’était pas le genre de situation que l’on s’attendait à vivre un jour. Elle avait beau être habituée à réagir de façon appropriée aux urgences, cette fois-ci, c’était différent. Ce n’était pas une plaie qu’elle pouvait se contenter de désinfecter et de recoudre. Elle l’avait pourtant fait un nombre incalculable de fois pour Ehvan. Parce qu’il était tête brûlée, parce qu’il se rendait toujours compte après coup qu’il était blessé, parce qu’il préférait que ce soit elle qui s’occupe de lui ; tant pis si ce n’était pas très professionnel pour l’un comme pour l’autre. À chaque fois, elle le sermonnait, et à chaque fois il s’en tirait avec son sourire charmeur. Ils avaient été tellement, tellement heureux ensemble. Comment avaient-ils pu en arriver là ? Cette question l’avait hantée. Elle s’en était voulu de n’avoir rien su faire pour l’empêcher de basculer. Si elle n'avait pas été aussi distante avec lui, ce soir-là, aurait-elle pu le sauver, les sauver de tout ça ? Ça n’avait plus aucune importance, à présent. Tout ce qui les avait conduits à ce moment était ancré dans l’histoire et faute de pouvoir réécrire le passé, il leur faudrait trouver le moyen de composer avec le présent et un futur qui s’annonçait nébuleux. Elle ne bougea pas, de peur de s’écrouler, quand Ehvan s’agenouilla pour ramasser son dossier éparpillé. Elle était pétrifiée, si bien qu’il lui fallut un moment pour le récupérer quand il le lui tendit. Elle balbutia un merci timide, hocha doucement la tête quand il demanda s’ils pouvaient s’asseoir. Il valait mieux, en effet, avant que l’un d’entre eux ne finisse à son tour dans la flaque de café. Les quelques pas qu’il lui fallut faire jusqu’aux chaises lui semblèrent interminables, et en fin de compte, elle se laissa tomber plus qu’elle ne s’assit. Ses doigts s’accrochent, vaine tentative de contrôler les tremblements de ses mains. Elle devait faire peine à voir, blême comme une morte, les yeux rougis par les larmes et les joues tachées par le maquillage qui avait coulé.

Elle prit silencieusement les mouchoirs tendus, essuya comme elle le put les stigmates de ses sanglots. Puis la question qu’il lui posa lui fit l’effet d’un électrochoc. Elle dut se faire violence pour ne pas le dévisager et l’accabler d’une culpabilité qu’il devait déjà ressentir s’il disait vrai sur toute la ligne. Mais Bella ne pouvait s’empêcher de trouver la situation d’une cruelle ironie. Il n’y avait pas d’autre façon de la décrire, c’était cruel sous tous les aspects. Elle ne parvenait plus à le regarder, son visage lui faisait ressentir trop d’émotions contradictoires. Elle se sentait écrasée par leur poids. À côté d’elle, l’homme qui aurait pu tuer pour elle, et peut-être l’avait-il fait sans qu’elle n’en sache rien, ne se souvenait ni d’elle ni de son prénom. Pour lui, Bella n’était plus rien, sinon une ombre, une vague réminiscence floue. Des années de vie, envolées. Elle ignorait lequel d’eux deux souffrait le plus. Celui qui avait tout oublié, ou celle qui se souvenait de chaque seconde ? Elle prit une profonde inspiration, releva tristement la tête. « Belladonna. Bella. » Pour lui elle était rapidement devenue "flower", avant même que leur relation ait été officialisée, parce qu’il s’amusait du rouge qui habillait ses joues, du sourire timide qui étirait ses lèvres. Puis ça avait pesé de plus en plus, le sobriquet s’était drapé d’amour et d’adoration, toujours prononcé sur un ton particulier, lourd de tous ces sens. Maintenant ? Une inconnue, une fleur fanée. Ça lui tordait le cœur, encore et encore, la torture était insidieuse. « Je suis désolée… Je suis désolée, je ne sais pas quoi dire. » Elle secoua la tête, essuya encore une fois ses joues humides. « Est-ce que tu… Tu ne te rappelles vraiment rien ? Rien du tout ? » Bella peinait à l’imaginer. Se réveiller un jour, et là où auraient dû se trouver mille et un souvenirs, le vide complet. C’était cauchemardesque à imaginer. Et pourtant, si on lui avait dit un jour qu’Ehvan était vivant, mais n’avait aucun souvenir de sa vie, elle aurait répondu qu’elle s’en lavait les mains, qu’elle ne voulait plus rien avoir à faire avec lui. De toute évidence, elle aurait surestimé ses capacités à ignorer les faits. « Est-ce que tu connais ne serait-ce que ton nom… ? »

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“Perhaps this is what the stories meant when they called somebody heartsick. Your heart and your stomach and your whole insides felt empty and hollow and aching.” @Kenneth Brown

Personne. Elle n’était plus personne pour l’homme qui s’était damné pour elle. C’était une souffrance indescriptible. De toute sa vie, Bella n’avait jamais rien ressenti de la sorte. Si Ehvan avait décidé de l’abandonner, de les abandonner, elle aurait presque pu le comprendre. Oh, ça lui aurait fait un mal de chien, mais au point où en était leur mariage, ça aurait pu être une solution comme une autre. Sauf que ça n’avait aucun sens non plus. Ehvan était bien des choses, mais pas un lâche. Il avait claqué la porte de l’appartement plus d’une fois quand la situation s’envenimait, mais il était toujours revenu. Pour elle, pour Rosaline. Il aurait fait bien des choses, mais pas celle-là. Ce qui rendait la situation plus dramatique encore. Que lui était-il arrivé de si terrible pour qu’il en oublie toute sa vie ? Qu’avait-il bien pu vivre pour que son cerveau déclenche un mécanisme de protection extrême à ce point ? Rien que d’y songer, Bella en avait froid dans le dos. Parce qu’Ehvan, elle le connaissait mieux qu’il ne se connaissait lui-même. Ou l’avait connu… Peu importait. L’homme qu’elle avait connu semblait être une véritable force de la nature, il avait pris des coups plus souvent qu’à son tour, était revenu de mission dégoulinant de sang des pieds à la tête, avait frôlé la mort plus qu’il ne l’aurait dû. Rien ne l’avait ébranlé. Bella s’en était même inquiétée, de peur qu’un excès de confiance le mène droit à la tombe. Était-ce ce qu’il s’était passé ? Il était allé trop loin, un soir où personne n’avait été là pour le ramener à la soirée ? Rien de tout cela n’était rassurant. Deux questions se superposaient : qu’avait-il fait ? Que lui avait-on fait ? L’homme à côté d’elle avait presque l’air inoffensif. Presque. Bella, elle, n’avait rien oublié. Ses accès de colère, les bavures, l’intolérance qui s’était répandue comme une gangrène, les encouragements mielleux d’Alexander… Et ces mots, ces maudits mots qu’il n’avait de cesse de lui répéter et qui n’avaient jamais réellement cessé de tourner en boucle dans son esprit. "Tout ce que je fais, je le fais pour toi." Peut-être qu’il y avait eu une fois de trop.

L’ombre d’un sourire triste passa sur le visage de Bella quand il mentionna avoir rêvé d’elle – de ses cheveux, au moins. Ce n’était pas grand-chose, mais sans doute était-ce mieux que rien. Ça ne suffirait pas, bien loin de là, mais… Bella était prête à se raccrocher à n’importe quoi. Étrange, pour celle qui était si sûre d’avoir tourné la page. Doucement, avec d’appréhension, elle accepta la carte d’identité qu’il lui tendait. Elle l’étudia un moment, en même temps qu’elle écoutait les maigres explications qu’il avait à lui offrir. Son esprit était dans le brouillard, elle ne parvenait plus à penser clairement. Plus les minutes passaient et plus elle réalisait que tout était réel, et pas le fruit de son imagination fatiguée. « Ehvan Griffin. Tu t’appelles Ehvan Griffin. Quand on s’est mariés, tu as pris mon nom, Faust. Ton petit côté moderne, j’imagine… » Ou le besoin de plaire à n’importe quel prix à un beau-père qui avait su manipuler ses faiblesses et ses peurs avec une main de maître. L’image d’Alexander, Bella préféra la repousser dans un coin de son esprit. Ce n’était vraiment pas le moment de penser à lui, même si elle ne pouvait s’empêcher de se demander si tout ça n’était pas de sa faute. S’il n’avait pas poussé Ehvan si loin, les choses auraient été différentes. « Désolée de te l’apprendre, mais tu as entamé ta quarantaine au début du mois… » Elle ne savait pas pourquoi elle s’essayait à placer quelques traits d’humour dans ses paroles. Ça ressemblait à une tentative désespérée de dédramatiser une situation qui ne pouvait pas l’être. « Tu es né à Las Vegas. » Comment s’était-il retrouvé dans un hôpital de l’Alabama ? Bella passa une main dans ses cheveux ; les informations s’accumulaient, mais plus le temps passait et moins elle arrivait à les analyser. Qu’il soit désolé, elle voulait bien le croire. Elle aurait simplement aimé qu’il le lui dise avant. « Si j’avais su… Si j’avais su que tu étais vivant, je serais venue te chercher… Mais je… Je ne sais pas comment, mais c’est ton corps que j’ai identifié, on m’a même donné ta plaque militaire, tes vêtements… J’étais tellement sûre… Et je ne pouvais pas… Il fallait que je fasse attention, il y avait Rosie… » Bella ne réalise pas qu’elle en dit un peu trop, elle n’est plus tout à fait lucide. Les larmes coulent sans qu’elle ne puisse plus les arrêter et, honteuse, elle finit par enfouir son visage dans ses mains.

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À peine le prénom de Rosie prononcé, Bella plaque une main sur sa bouche. Trop tard, l’aveu a été fait. Elle ignore si Ehvan le comprendra, elle espère presque que non… Mais chez elle, il y a une petite fille qui a dû faire le deuil de son père sans jamais l’avoir connu. Ce n’était pas ce que Bella avait souhaité. Elle avait voulu la protéger de ses débordements, pas la lui arracher. Parce que malgré tout ce qu’il avait pu faire, elle savait qu’il aimait sa fille. Il l’avait voulue, il l’avait aimée à la seconde où Bella lui avait appris qu’elle était enceinte. Elle s’était souvent demandé si, peut-être, la naissance de Rosie aurait suffi à l’adoucir, si elle aurait eu l’effet d’un électrochoc. C’était encore une question qui resterait sans réponse. Rosie était née et avait passé les quatre premières années de sa vie à intégrer l’idée que son père était mort avant qu’elle ne vienne au monde. Comment était-elle censée lui expliquer que ce n’était finalement pas le cas ? On avait beau dire que les enfants étaient capables de s’adapter aux changements avec plus de facilité que les adultes, Bella n’en était pas sûre. Elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour protéger Rosie, pour s’assurer qu’elle ne manque de rien, pour qu’elle soit heureuse. Et elle allait devoir chambouler son petit monde ? Pour lui présenter un homme qui ne se rappelait pas de sa mère, et encore moins d’elle ? Non, c’était trop lui en demander. « Je suis désolée… Je suis désolée, je ne peux pas… » Elle secoua la tête à plusieurs reprises, un peu comme si elle perdait la tête. « Je ne peux pas faire ça, c’est trop, je suis désolée… » Répondre à cette question, c’était trop lui en demander. Ses certitudes venaient d’être pulvérisées, l’avenir paisible qu’elle avait imaginé venait d’être écrasé par le talon du destin, elle était complètement perdue. Elle avait l’estomac dans les talons, le cœur au bord des lèvres. Elle sentait l’angoisse resserrer sa poigne autour de sa gorge, l’air commençait à lui manquer, elle avait l’impression qu’un étau de fer comprimait sa poitrine. Une toute petite part d’elle-même lui chuchotait de se reprendre, de ne pas se laisser aller ainsi en public. Ses parents lui avaient appris à étouffer ses sentiments, à ne montrer qu’un parfait masque de neutralité lorsque la situation s’envenimait, mais c’était trop en attendre d’elle que d’espérer qu’elle y parvienne encore. Ces retrouvailles hasardeuses étaient la goutte d’eau qui faisait déborder l’océan.

Secouée par les sanglots, elle se releva précipitamment, manquant de faire basculer la chaise. « Je ne peux pas… Il faut que j’aille chercher… » Rosie. Elle se mordit la lèvre si fort que le goût métallique et salé du sang ne tarda pas à envahir son palais. Elle eut un haut-le-cœur, qu’elle parvint tout juste à réprimer. « Je ne peux pas rester. » Chaque mot était plus difficile à articuler que le précédent. Elle allait devoir retourner chez elle pour se changer, retrouver ses esprits. Elle ne pouvait pas aller chercher sa – leur ¬– fille dans cet état, elle ne devait pas la voir comme ça. Au hasard, Bella attrapa un morceau de papier, un stylo dans son sac à main et griffonna du mieux qu’elle le put son numéro de téléphone. Elle dut rassembler ce qu’il lui restait de courage pour le tendre à Ehvan en regardant autre chose que ses chaussures tachées de café. « Quand tu seras prêt… Si tu veux savoir qui tu es… » Elle tenta un sourire, qui dut être aussi triste que pathétique, navrant témoin des émotions contradictoires qui se battaient pour s’imposer. Trop tard, elle réalisa qu’elle avait machinalement tendu une main vers le visage d’Ehvan ; à peine ses doigts eurent-ils effleuré sa joue qu’elle recula aussi sûrement que si elle avait reçu une décharge électrique. Il avait fallu qu’elle vérifie, qu’elle soit sûre, qu’il était réel.

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