"It is what it is" (= i took it straight to the heart and will be letting it eat me alive for the next few weeks) / Nuli5

Nuage était nerveux, fatigué ces derniers temps ; il noyait le stress du procès à venir dans mille petits projets qui ne menaient pas forcément à quelque chose, des dizaines d'inquiétudes qu'il n'aurait jamais eues en temps normal – il avait l'impression de devenir fou.
Le travail lui prenait la tête, son patron était peu compréhensif et n'acceptait pas les critiques en prétextant que c'était l'expression du « sale caractère » d'Hae-un qui avait été évoqué par le personnel de la prison alors que ces gens ne savaient pas de quoi ils parlaient. (N'importe qui aurait eu « sale caractère » enfermé en prison, estimait Nuage.)
D'un autre côté, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même, c'était lui qui avait refusé l'aide (généreuse) de son beau-frère qui lui aurait trouvé un taf plus reluisant et moins fatigant physiquement.

Il avait mal à l'épaule gauche et se traînait un début de tendinite qu'il ne pouvait pas faire soigner, avait le bourdon, peur de l'avenir et était terriblement stressé. Pas grand-chose n'allait – hormis la bouille presque souriante de Louisa quand elle courait vers lui avec son air idiot de gros chien heureux.

« Heyyy salut princesse », lui fit-il alors qu'elle courait à sa rencontre, la langue pendante. Il était fringué exactement comme d'hab, un slim brut déchiré aux genoux, un hoodie trop grand, de couleur violet foncé cette fois-ci, et une veste trop mince pour la saison pour parachever son œuvre. Heureusement une écharpe immense et en pure laine (cadeau de son frère aîné) complétait l'outfit et garantissait un certain confort malgré l'air froid. Le machin aurait pu lui servir aisément de plaid s'il en avait eu envie, de couleur crème, blanc et noir, et à motifs graphiques. Il sourit à Li-Seok après avoir salué comme il se devait une Louisa délirante de joie.

« Salut ! Mon avocate t'a contacté ? »

Il y avait eu... un petit accrochage. Nuage (potentiellement de mauvaise humeur, potentiellement parce que Minho parlait de date et de serveuse ; mais bref, selon lui rien à voir) avait un petit peu câblé quand elle avait évoqué sa ligne de défense.
A savoir, tout simplement le faire passer pour quelqu'un de manipulable et sans défense, qui s'était retrouvé pris dans l'étau de la prostitution sans vraiment le voir venir, et qui le regrettait bien, désolé votre Honneur, je recommencerai pas.
Evidemment Hae-un avait râlé ; il ne voulait pas qu'on le dépeigne comme ça, c'était pas du tout ce qu'il s'était passé bon sang ! … Il avait pris sur lui – vraiment – pour ne pas l'insulter, se rappelant au dernier moment que ses honoraires étaient réglés par son beau-frère et qu'il ne voulait vraiment pas se faire engueuler par lui.
Restait que l'échange avait été tendu et qu'elle avait évoqué le fait d'en parler à « monsieur Dae », ce que Nuage avait salué d'un « si tu veux ouais », très cavalier. Il salua les deux autres chiennes qui attendaient leur tour sagement, plus détendu qu'avec n'importe qui d'autre dans cette situation – Li-Seok comprendrait lui pourquoi ça l'avait énervé, n'est-ce pas ?

« Elle m'a manqué aussi avec sa grosse tête », fit affectueusement Nuage, quoique non sans laisser passer l'occas de dire un truc de mal, c'était sa manière de prouver son affection, après tout. Il sourit à Li-Seok, ravi d'en avoir la confirmation alors même que la chienne noire et feue se pressait contre lui avec une affection délirante.

« Ah ! Elle m'a dit un truc comme quoi j'allais l'regretter, ça ressemblait à une menace, ça m'a... »

Enervé. Il avait eu envie de crier et lui jeter un truc à la gueule – la preuve que ça allait quand même bien mieux c'était qu'il avait rien fait.

« Je crois que je la saoule. Je sais pas si elle a beaucoup défendu de cas comme moi elle a plutôt l'air ah... le genre d'être spécialiste dans l'évasion fiscale, tu vois ? Pas mon genre de délit. »

Pour faire de l'évasion fiscale, fallait avoir du fric, et Nuage ça faisait des années et des années qu'il survivait, c'était clairement pas dans ses moyens de s'évader fiscalement. Il sourit, encore, caressa le col de Louisa, le museau de Sally, laissa tranquille Rihanna restée plus loin, plus réservée que les autres.

« ça va oui – 'fin, hormis ça. Ça m'a pris la tête. »

ça l'avait mortellement inquiété, en fait. Il avait été infichu de dormir dans son lit, avait déménagé son bordel de couvertures sur le canapé, s'était tapé une monstrueuse crise de maniaquerie qui l'avait pratiquement fait pleurer parce qu'il ne parvenait pas à faire partir une tache récalcitrante sur un quelconque tissu dont on se fichait mais sur lequel il s'était bien trop focalisé à ce moment-là. Il avait quasiment bu toute sa lavande dans l'espoir de se calmer.
Ça allait un peu mieux avec la présence des filles – probablement avec celle de Li-Seok, aussi. Il n'y pensait pas comme ça, encore.

« Et toi ça va ? »

Il se redressa enfin, laissant les chiennes, frotta ses paumes de mains sur son jeans sombre.

Li-Seok avait l'air de comprendre ce qu'il sous-entendait très vaguement avec ses euphémismes tellement criants que ça en devenait presque des mensonges, et il ne savait pas trop comment y réagir. En fait ça aurait été n'importe qui d'autre il se serait fermé façon huître dérangée (« je sais que ça va aller ! ») mais pas avec lui. Il se contenta d'afficher un sourire un peu penaud.

« Ouais, ok. C'est mieux si c'est toi qui lui parle t'es plus – doué avec les gens. Surtout avec les gens officiels, genre les avocats ou tout ça. »

Moins insultant, aussi, de ce qu'en avait vu Nuage – même s'il avait pas spécialement envie de voir Li-Seok en colère. Il avait beau être très doux et avoir la patience d'un mur, on ne se faisait pas obéir de trois gros chiens comme les filles sans un minimum de détermination et de confiance en soi. Hae-un se redressa après avoir terminé de caresser Louisa pressée contre ses jambes avec un air adorateur :

« Oui allons-y. »

Il planqua ses mains sous la longueur de son écharpe, combattant efficacement le froid (quel cadeau utile, Si-Woo pensait vraiment à tout, se dit-il avec affection), et souffla avec amusement à la mention du mélange d'herbes qu'il avait fait à son agent de probation.

« Je peux t'en refaire, si tu veux et si ça t'aide, mais faut que je rachète de la lavande, j'arrive à la fin de ma réserve – oh on peut peut-être passer en racheter ? Je crois qu'il y a une boutique, vers là-bas. »

Il fit un geste vague de la main. Il acquiesça, ressortit la main droite de dessous son écharpe pour fouiller dans sa poche intérieure, en sortit son paquet souple de cigarettes qui sentaient vaguement – elles aussi – les herbes aromatiques. Pas le genre qui fait planer, plutôt une vague odeur d'épice douce, difficile à déterminer.

« Tiens, le briquet est planqué dedans aussi. »

Il passa la boucle de la laisse autour de son poignet dans un geste maintenant habitué, la grosse chienne mélangée rott et pitt ravie à ses pieds, levant sa gueule souriante vers lui. Il lui sourit, attendri par son expression, lui tapota gentiment la tête, avec une affection non-dissimulée.

« 'kay. Oui... à peu près en tout cas », il prit une direction, suivi par la chienne qui marchait à ses côtés, toute fière d'être tenue par Nuage. « Je connais oui – j'y ai été. »

N'était-il pas censé rendre compte à Li-Seok précisément de ses allées et venues ? Si, exactement. Il aurait dû lui dire pour la fois où il avait été voir Eli à la surface, et la visite entre midi et deux à l'école pour renouer avec Minho depuis tout ce temps. Mais Hae-un avait du mal avec le fait d'être surveillé tout le temps même si c'était par Li-Seok qui de une ne jugeait pas de deux n'était pas chiant.
Il zappait des fois, de lui dire ce genre de trucs. C'était un moyen de défense inconscient, il s'en rendait même pas forcément compte. Il glissa le paquet de clopes dans sa poche après en avoir prélevé une, coincée entre ses lèvres et allumée.

« T'es toujours stressé ? » il fronça légèrement des sourcils en voyant la manière dont Li-Seok était soulagé de pouvoir tirer sur une cigarette. Il hocha de la tête, avec un rire parce qu'il imaginait bien Minho prendre son air peu aimable pour éviter toute question gênante. « Oui, il m'a contacté, on a mangé ensemble. C'tait cool de le revoir. Pourquoi tu voulais savoir, pour l'école ? »

Il ralentit à un carrefour, se décida sur une direction à prendre, pas encore trop perdu mais pas certain qu'il prenait l'itinéraire le plus court.

Nuage avait bien compris le principe de la probation et la menace très claire qui pesait sur lui s'il n'obéissait pas à certains termes ; aller voir Eli à la surface, faire un crochet par l'école des White sans prévenir Li-Seok c'était pas forcément bien, mais ça n'était pas dangereux pour sa liberté.
Retourner dans les quartiers qu'il fréquentait avant, se montrer au FC où il avait déjà tenté de recruter du monde...
Certes son beau-frère était friqué et l'argent faisait des miracles mais il en avait marre de compter sur lui pour ça – et puis peut-être que la justice ferait son boulot au lieu de se laisser graisser la patte. Alors malgré quelques oublis inoffensifs, Nuage obéissait.

« Oui, ça m'a fait plaisir de le revoir. On a tous les deux beaucoup changé, c'est pas plus mal. »

C'était un peu redécouvrir une nouvelle personne, de faire connaissance avec Minho qui ne buvait pas – mais la nouveauté dérangeait pas Hae-un d'autant que son pote n'avait pas perdu son sens de l'humour incisif si assorti au sien.
Il écouta avec attention la proposition de Li-Seok, attrapant à son tour une cigarette pour se donner contenance.
Elle sentait quasiment le papier séché, quand il l'alluma, tira dessus pour s'emplir les poumons.

« C'est une bonne idée, il faut t'manière que je change de taf sinon je vais m'emplâtrer mon patron. Je verrai ça. 
Mais – je peux te poser une question ? »

Il n'attendit pas tellement la réponse, un peu brusque.

« Pourquoi t'es si persuadé que je vais pas retourner en prison ? »

Parce que lui, la perspective du procès le faisait flipper et il ne comprenait pas que Li-Seok soit aussi affirmatif quant au fait qu'il ne serait pas condamné.

« Je veux la vraie réponse », fit Nuage en inclinant légèrement la tête, doucement, avec un petit sifflet à l'intention de Louisa qui tendait un peu trop sa longe et risquait de lui faire – la chienne qui connaissait maintenant la façon de s'exprimer de Nuage, ralentit à ce qu'elle comprenait comme un ordre.

Il suivit l'indication muette des doigts de Li-Seok, tendus vers lui sans établir de contact – pile comme il fallait, en fait – pour le faire se décaler et ne pas risquer de percuter un vélo. Il tourna la tête vers lui, le regard toutefois fixé sur le bout de ses doigts, pour ne pas croiser le sien – sur l'extrémité embrasée de sa cigarette.
Il hocha lentement de la tête, intégrant ce que disait son agent de probation en essayant de faire le tri entre ce qui lui faisait plaisir à entendre, ce qui était peut-être vrai, ce qui était exagéré par Li-Seok.

« Hmmh, j'imagine que tu sais de quoi tu parles et que c'est peut-être vrai. Peut-être que l'argent de mon beau-frère va être utile... Ah – », il soupira, longuement, suivant sans peine le rythme de Louisa. « Normalement ça m'agacerait parce que c'est vraiment trop un traitement de faveur mais... »

Il se mordit la lèvre.

« Je veux pas retourner en prison, vraiment. Alors si son pognon peut me l'éviter, j'vais vraiment pas m'plaindre. C'est juste... injuste », fit-il avec une espèce de sourire, amusé lui-même de la formulation. « Enfin ta certitude me fait du bien, alors... J'espère que t'as raison, et qu'une fois le procès fini je vais pouvoir me concentrer sur la suite au lieu de... »

Comment dire ça ?...

« Rester en mode survie. »

De façon assez animale, Hae-un sentit la désapprobation presque physique de son agent de probation, y réagit en se crispant de stress, d'autant plus qu'il refusait de s'avouer angoissé par la perspective de son agacement. Il lui jeta un regard de côté un peu urgent, pour le surveiller.

« Hm ? »

Il évita son regard, avec cette façon de fixer son épaule plutôt qu'ailleurs, sans donner l'impression de ne pas l'écouter du tout – c'était ce qu'il avait trouvé avec le temps le mieux à faire pour ne pas affronter les yeux des gens, sans avoir l'air d'en avoir rien à foutre. C'était compliqué.

« Okay – okay. J'imagine que c'est très positif pour le procès. »

Oui – mais l'argent de Yuzuru était un meilleur argument, c'était comme ça ; il se garda de préciser son avis sur la question pour ne pas agacer de nouveau Li-Seok. Il sourit, un peu gêné par la précision de son agent de probation, se détendant de nouveau en même temps que lui. Il n'avait pas peur de Li-Seok, pas quand il était comme d'habitude en tout cas.

« Ouais – on verra ça après le procès ok ? Oui c'est là tu vas voir, Violet est gentille. »

Violet c'était la tenancière, qui devait pas du tout s'appeler comme ça de base, avait une couronne de fleurs dans les cheveux, et sentait le savon végétal. Nuage la laissa s'approcher jusqu'à l'accolade (ce qui était d'une rareté équivalent à celle d'une licorne), fit un geste vers Li-Seok.

« Violet, j'te présente Li-Seok, Li-Seok, Vi. J'suis venu chercher de la lavande, à deux on a dégommé le stock ? »

Elle lui fit les gros yeux, gloussa joliment.

« Je pense que c'est pas le vrai », répondit Hae-un avec un sourire malin, avant de se glisser dans la boutique.

C'était le bordel à l'intérieur, aussi préférait-il se concentrer sur la jeune femme, qu'il aimait bien, pour ne pas (trop) avoir envie de se mettre à tout ranger frénétiquement ; il était un peu maniaque. (Beaucoup, mais par crises principalement, et il parvenait à limiter ça à son appartement.)
Violet après l'accolade partagée avec Nuage adressa un joli sourire à Li-Seok sans demander d'où il sortait (peu sociable comme était Hae-un la question était pourtant légitime), et elle eut même la présence d'esprit de saluer les chiennes.

« Moi j'ai besoin de rien d'autre », répondit Nuage en éclatant verbalement le on, sans même y penser ou y faire attention, habitué à faire cavalier seul parce que ça lui donnait l'impression de se protéger, « la mélisse c'est une bonne idée, j'en ai déjà. »

Il ne commenta pas le genre de l'ex, mais le nota dans un coin de sa tête.

« J'ai – ah », il soupira, « t'as pas vidé mon stock t'en fais pas, mais ok. »

La question de l'argent était compliquée pour Nuage ; mais il galérait juste suffisamment pour savoir qu'il fallait pas batailler quand on lui proposait de payer quelque chose. Il évita le regard de la vendeuse, préférant caresser la tête de Louisa, un excellent prétexte.

Il termina d'administrer des caresses à Louisa, habitué maintenant à dealer avec les chiennes puisqu'il tenait les trois en même temps sans même paniquer ; à force de se les voir confiées il avait capté qu'elles étaient sages, et pas du genre à toutes partir en courant en même temps.
En outre, ça allait là, leur maître était dans le coin.

« 'kay », répondit-il à son agent de probation, en levant vers lui un sourire, moins bousculé par la perspective d'avoir un cadeau. Un cadeau, ça allait, c'était acceptable. Il reporta son regard vers la vendeuse, sans se départir dudit sourire : « de la passiflore tu as ? »

Violet fronça un peu des sourcils, cherchant le regard de Nuage, pour essayer de savoir ce qu'il avait à prendre autant de plantes anti-stress d'un coup, et il haussa vaguement des épaules ; qui en 2025 pouvait se vanter de n'être pas stressé ? …
Il déplaçait un peu le problème mais au moins ne l'embêtait-elle plus, et se contenta de hocher de la tête et d'aller lui chercher ça, plus les thés demandés par Li-Seok. Louisa pressée contre la cuisse, il expliqua à Li-Seok.

« ça aide à dormir, si jamais tu en veux aussi. Ça se mélange bien avec la lavande et la mélisse », il fit un sourire gentil.

Avec habitude, il laissa la possibilité à Li-Seok de reprendre la laisse de Louisa, mais son agent de probation semblait déterminé à le laisser profiter de la chienne et il eut un petit sourire content, comme illuminé de l'intérieur.

« Au revoir Violet ! À la prochaine. Fais attention à toi », commanda-t-il avant de rajuster son écharpe parce que c'était bien beau de donner des conseils mais qui ne s'habillait pas assez en plein hiver ?... C'était Li-Seok qui portait les courses et ça ne dérangeait pas du tout Nuage. « On va boire un café maintenant ? Je peux te montrer les messages de l'avocate si tu veux – fin si t'as besoin, j'en sais rien. On peut juste boire un café aussi. »

« C'est toi qui as parlé en premier d'une boisson chaude », rappela Nuage avec un haussement de sourcils, parce qu'il n'allait certainement pas passer pour quelqu'un de demandant, et puis quoi encore ? En réalité il avait très envie – il avait besoin – de parler de l'attitude de l'avocate et d'essayer d'expliquer pourquoi ça l'avait bousculé. Il avait peur que Si-woo lui fasse la réflexion qu'il exagérait, et qu'il commence à le croire.
Si-woo dirait probablement jamais ça.

Il y a quelques mois – quelques semaines peut-être, même – il aurait minimisé l'effet qu'avait eu sur lui ce qu'il avait interprété comme une menace de la part de cette avocate, et il baissa le nez, pour l'enfouir dans son écharpe épaisse, se laissant le temps de la réflexion.

« ça m'a blessé, j'ai l'impression qu'elle parle de quelqu'un d'autre, j'ai peur de perdre le procès si elle raconte des trucs qui sont pas moi et pas crédibles et – je, oui, j'ai envie de te les montrer je voudrais ton avis dessus, si j'ai réagi normalement ou si », il eut un geste vague. « Si j'exagère, tu vois. »

Il savait que des fois il avait réellement un caractère ombrageux ; mais là il lui semblait faire des efforts. Il répondit à son sourire, le regard enfin levé sur lui, prit une direction :

« Viens, y a des chocolats chauds très acceptables, vers là-bas si je me rappelle bien. La cour donne sur la façade d'une église. Fin pas le devant, l'arrière. Y a même un petit jardin, les filles vont adorer. »

Le regard noir de Nuage, à l'expression perpétuellement méfiante (parfois on aurait dit que le monde entier voulait du mal à Hae-un tellement il était sur ses gardes, et c'était pas totalement faux, en vrai) se posa sur son agent de probation, checkant l'allure qu'il avait.
Il avait bien l'air de quelqu'un de fatigué, tiens ! C'était assez évident qu'il ne prenait pas assez le temps de se reposer.
Son idée de café toutefois, ne remporta pas autant de suffrage qu'il aurait cru ; il ne loupa pas la grimace que fit Li-Seok, à l'évocation d'une église.
Il aurait dû se demander d'abord si le mec n'était pas allergique à la religion ou un truc du genre. Hae-un se sentait idiot, mais tenta une manœuvre de demi-tour :

« Enfin – y a sûrement d'autres cafés à côté qui font des chocolats chauds acceptables, c'est pas comme si c'était dur ou je sais pas quoi.
Quels morts ?... »

Il était pris de court, là.

« Ah derrière l'église ? Non y a pas de mort, c'est – y a pas de cimetière. C'est juste joli. »

Les propos de Li-Seok étaient gentils – un peu trop peut-être. Il repensa à la conversation avec Minho et les insinuations de son pote lui revinrent en tête. Ses épaules se redressèrent dans un geste défensif, il renifla brusquement :

« Oui oh – tu sais y a beaucoup de coins que je connais qui craignent un max, c'est pas joli à voir. »

Il faisait totalement référence précisément aux quartiers dans lesquels il n'avait plus le droit d'aller parce que c'était là qu'il exerçait ses … anciennes activités. Ça l'avait coupé de bon nombre de son entourage, mais peut-être pour le mieux, parce qu'il connaissait là-bas peu de gens bienveillants.
Une belle bande de paumés, en somme.
Il en avait conservé Minho, c'était déjà pas mal – Minho et sa méfiance envers le monde entier qui l'avait un peu contaminé. Il essaya de ne plus penser à ce qu'il lui avait dit et qui changeait un peu sa perception de la bienveillance de Li-Seok ; c'était con de penser comme ça. C'était Minho qui était parano, voilà tout.
Il entra le premier dans le café, salua les serveurs d'un grommellement peu clair et pas franchement poli en prenant avantage de l'impressionnante présence de Louisa qui calmait les curiosités, et prit la direction de la seconde terrasse située derrière l'établissement – c'était effectivement connecté au jardin d'une église, et comme promis, il n'y avait aucune tombe en vue.

Il se glissa sur une chaise en fer forgé.

« Je peux lâcher Louisa ? »

Il aurait pu en vouloir à Minho d'avoir distillé en lui la graine de la méfiance par rapport à Li-Seok, qui s'était hissé si facilement au rang de héros sauveur ces derniers temps ; pas impressionné d'abord par les crises de caractère de Nuage, il s'était ensuite montré tout le temps d'une utilité sans faille.
Jusqu'à venir l'aider avec une fuite d'eau, à l'avenir lui prêter une de ses chiennes pour sortir sans encombre de l'Underapple, toujours prêt à aider.
A cause de Minho maintenant il se demandait si ça cachait quelque chose, si le si gentil agent de probation attendait une réaction ou une reconnaissance de sa part, pour tout ça. La question lui avait pas effleuré l'esprit avant parce que Li-Seok s'était toujours montré d'un impeccable professionnalisme, mais vu que Minho l'avait à peu près mise sur la table...

Nuage se sentait comme s'il devait se défendre d'un danger imaginaire. Il détestait ça. Il ne voulait pas se défendre de Li-Seok.

« Si bien sûr », marmonna-t-il quant aux endroits qui faisaient du bien, « c'est juste que j'ai mis longtemps à comprendre que ceux que je pensais faits pour moi l'étaient pas tant. »

Y a quelques temps en arrière, pas si longtemps, il ne se serait pas retrouvé sur une terrasse à l'arrière d'une église avec trois gros chiens et un agent de probation – mais dans un appart surbondé avec une musique lourde en fond sonore, et des idées derrière la tête.
Il se sentait fatigué.
Il avait mal à l'épaule. Il avait l'impression que Li-Seok le regardait avec trop d'insistance (c'était à cause de Minho). Il suivit du regard Louisa qui s'éloignait, mais pas trop, avec les deux autres chiennes.

« Je pensais que t'avais un cercle amical plutôt proche ? Vous faites pas ce genre de trucs ? »

Il frotta son genou à travers son jeans, posa son regard quelque part vers la clavicule de Li-Seok, après un très rapide contact visuel, à son habitude.