Zen Attitude

Un jeudi comme tous les autres, morne et pluvieux. Un jeudi sans soleil mais avec beaucoup de nuages, des blancs, des gris, et quelques-uns plus menaçants, d'un noir éteint. Moi j'aime bien le soleil, mais j'aime aussi les nuages. Alors assis sur le rebord de la fenêtre ouverte de la chambre que je partage avec Cassian, je les regarde. Cass' est occupé ailleurs, donc j'ai tout loisir de laisser la piaule se refroidir pendant que j'admire le ciel moutonneux. Je vois, ici des montagnes, là un chameau avec une tête de lapin, plus loin encore une chaise juchée sur une longue et sinueuse échelle.

Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là à les contempler, mais j'avoue que ça commence à cailler, même si j'ai enfilé un sweat par dessus mon haut. Je finis ainsi par redescendre de mon perchoir et refermer les deux pans de vitre dans un petit frisson. Je rejoins mon lit et m'enroule dans ma couette, attrapant cette fois mon téléphone portable pour naviguer sur les réseaux sociaux. Ce n'est pas que j'y passe tant de temps que ça, mais de temps à autre, j'aime bien suivre les nouvelles de tel chanteur ou telle actrice, et surtout de mes amis, en fait.
Je mets quelques likes, un ou deux commentaires avant de voir l'heure.

- Merde, je vais être à la bourre..!

Je me hâte de me relever, laissant mon lit complètement en vrac, et enfile mes baskets bleu pastel, assorties à mon sweat. Un jean slim, quelques colliers et bracelets colorés, mes gants et la tenue est parfaite. En passant devant le miroir je rajuste machinalement mes cheveux roses, avant de sortir de la pièce.
C'est en sifflotant gaiement que je me dirige vers mon but, à savoir la salle où ont lieu les cours de yoga. Je n'y suis pas un régulier, déjà parce que je ne suis pas un sportif dans l'âme, et ensuite parce que ce sont généralement les plus angoissés des résidents qui en ont le plus besoin. Et on ne peut pas vraiment dire que je sois du genre stressé.

En revanche, voilà plusieurs jours que je n'ai, littéralement, pas dormi, et même si j'y suis habitué, on m'a conseillé de faire du yoga pour me détendre un peu et tenter de me reposer un peu. C'est l'effet kiss-kool de mon don. Je peux donner le sommeil mais j'en suis privé jusqu'à épuisement total.
Pour cette grande première, j'ai demandé à Sasha un cours particulier, histoire de me mettre un peu plus facilement dans le bain.

J'arrive sur place avec trois petites minutes de retard, et entre dans la pièce en levant les mains avec un sourire désolé. Pardon ! j'avais pas vu l'heure. J'avance jusqu'à la jeune femme, en réalisant que je n'ai peut-être pas la tenue la plus adaptée pour ce qui m'attend. Tant pis, je ferai avec..

- Comment vas-tu en cette nuageuse journée ?

Sasha n'est pas là depuis très longtemps, en soi. Mais j'apprécie les fois où je la croise, les quelques mots que je partage avec elle de temps à autres. Elle est rayonnante, un sourire toujours accroché aux lèvres, et elle donne l'impression d'être.. Solide. Du genre indéboulonnable, capable d'encaisser sans plier. Et c'est pas du luxe ici, de toute façon. Les plus jeunes arrivants sont souvent déphasés, anxieux à tout le moins, si ce n'est traumatisés d'une façon ou d'une autre. Alors avoir une Sasha sous la main pour les écouter, c'est tout ce que je leur souhaite.

Pour ma part, je ne suis jamais allé officiellement la voir. Je me plais à croire que je n'ai pas besoin d'une épaule pour pleurer, ni même d'une oreille attentive. Je vais bien. Je vis ma vie sereinement, et je la prends de façon obstinément optimiste, alors qu'est-ce qui pourrait aller mal ?
Je crois que la seule fois où j'ai fait appel à ses services, c'était parce que je m'étais coupé le doigt, c'est dire la terribilité de mon existence.

Maiiis, voilà. On m'a quand même chaudement conseillé -si ce n'est lourdement insisté- d'aller la voir pour une séance de relaxation, ou de yoga en tout cas, même si je vois pas encore bien la différence, alors j'ai fini par plier et m'y résoudre. Ceci dit je n'y vais pas la mort dans l'âme. Au mieux ça m'aidera à m'endormir, même si j'en doute, au pire j'en sortirai plus détendu et en ayant fait plus ample connaissance avec Sasha.

Je me pointe donc comme une fleur -rose, la fleur !-, et avec un grand sourire qu'elle me rend en me saluant. Elle dégage définitivement quelque chose de génial, cette nana. Elle m'indique un des tapis déjà au sol, et sans tarder je retire mes baskets avant de m'y asseoir en tailleur. Je vais bien aussi, merci ! Que je réponds avant de dodeliner un peu de la tête à sa question.

- C'est pas.. exactement ça. En fait c'est à cause de mon don. On en a jamais parlé ensemble mais je suppose que tu connais un peu nos "dossiers"... Je peux faire dormir les autres, en les touchant. J'agite mes mains gantées pour imager mes paroles, par réflexe. Puis après réflexion, je précise : Techniquement je gère mon don, mais j'ai pris l'habitude des gants... C'est confortable, même si j'ai drôlement chaud en été. Je reprends le fil de mes paroles ensuite, de mon débit rapide habituel. Enfin, bref. En quelque sorte, c'est comme si.. je leur donnais MON sommeil. Du coup.. Moi je dors pas vraiment, avant de tomber d'épuisement, quand je me sers de mon don.

je réfléchis un peu pour tenter d'être encore plus précis : Je m'en suis servi une fois depuis ma dernière.. nuit. Franchement, ça tient plus du coma que du sommeil réparateur, à ce stade, mais peu importe. Alors, je commence à fatiguer. Et on m'a dit que le yoga pourrait m'aider à.. genre. Me relaxer ? Cass' dit que je suis une pile électrique. je reprends ma respiration avec un nouveau sourire. Tu crois que c'est dans tes cordes, doc' ?

J'incline légèrement la tête en signe d'approbation, écoutant attentivement Sasha. "Merci d'avoir pris le temps de lire mon dossier.. ça ne doit pas être évident de gérer tout ça. Encore moins de les retenir. "Je lui offre un sourire de reconnaissance mêlé de compréhension. J'acquiesce une nouvelle fois, lorsqu'elle confirme les limites de chaque don. "ça rend chaque mutation délicate à gérer, pas vrai ? Surtout pour les plus jeunes que tu dois accompagner."

Je triture mes gants machinalement lorsqu'elle me demande de quand date ma dernière nuit. Trop longtemps, comme toujours. "Peut-être.. Deux ou trois jours." Avant qu'elle ne s'inquiète j'ajoute précipitamment : "Je n'ai pas besoin d'autant de sommeil que monsieur tout le monde, je te rassure. Ou alors je me suis habitué, je n'en sais rien en fait. Mais ça va, je tiens le coup ! En fait... je ne peux malgré tout pas nier que je ressens les effets du manque de sommeil, au bout d'un moment."

- A vrai dire, je tombe d'épuisement et je dors pendant une vingtaine d'heures d'affilée, quand j'arrive à mes limites. Que j'ajoute, essayant d'être le plus précis possible. "Des fois je me repose, mais je ne dors pas. Juste.. je repose mon corps." Un soupir trahit ladite fatigue latente qui m'habite, mais bien vite je retrouve le sourire. Je suis déterminé à trouver, sinon un remède, au moins de quoi m'apaiser en partie.

Quant au yoga, je secoue légèrement la tête. "C'est la toute première fois pour moi ! J'ai entendu dire et redire que ça pourrait m'aider, alors me voilà ! Je suis prêt à essayer." Je ne vais pas dire que j'y trouverai le calme nécessaire à atteindre le sommeil, ça je n'y crois pas, et je ne veux pas lui donner de faux espoirs sur le résultat de notre séance.

Je suis les indications qu'elle me donne, assis en tailleur. Les bienfaits du yoga énumérés par Sasha attisent ma curiosité et mon intérêt. "Ça semble être exactement ce dont j'ai besoin en ce moment. Je suis prêt à essayer n'importe quoi qui puisse m'aider à mieux gérer les effets de ma mutation." Je lui adresse un chaleureux sourire, tapant doucement des mains sur mes cuisses d'excitation. "Et puis si ça peut remplacer le sport que je ne fais pas, je suis preneur ! J'aime pas tellement le sport. Je suis actif, évidemment, mais souple comme une bûche." Que j'ajoute avec un rire.

Je me concentre sur ses mots, prenant quelques longues inspirations pour me mettre en condition. Les bruits de la forêt qui emplissent la pièce ajoutent une atmosphère apaisante. "Commençons, doc'." Réponds-je avec une mine reconnaissante, prêt à explorer cette nouvelle expérience. J'attrape rapidement mon téléphone dans ma poche pour le mettre en silencieux et le pousse plus loin, m'assurant une tranquillité totale. C'est parti.

C'est vrai qu'elle n'est pas là depuis longtemps, mais Sacha semble déjà... A sa place. Elle valide mes suppositions et je l'encourage d'un sourire éclatant. Bien sur que tu connaitras tout le monde ! Je nuance tout de même en ajoutant : Même si certains sont assez secrets sur leurs déchirures, voire très renfermés.. Ce sera peut-être pas facile de les faire s'ouvrir. Mais... tu dégages un bon feeling. Je suis sûr que tu y arriveras !

La conversation dévie sur mon propre don, et surtout sur ses effets néfastes. Je ne cache pas les choses à la jeune femme, elle est là pour m'aider après tout. Et puis je ne suis pas du genre renfermé, si on excepte le sujet de mon enfance. Donc je reste honnête et sincère avec elle. A bien y réfléchir, peut-être que je minimise un peu mon état de fatigue, mais je le fais par habitude, comme avec tout le monde. Je ne veux pas les inquiéter.

- Disons.. après une trentaine d'heures de manque de sommeil, ça commence à se ressentir. Je suis un peu moins concentré, et mes réactions sont moins bonnes. C'est bien pour ça que je conduis pas, d'ailleurs. Ce serait trop dangereux pour tout le monde. Les autres, et moi-même.
Je ris quand elle relève mon temps de sommeil, et acquiesce doucement par la suite. Oui, et crois-moi, pour me réveiller, faut y aller fort. Une vraie souche. Heureusement pour Cassian avec qui je partage ma chambre, je ne ronfle pas.

- D'une manière ou d'une autre, la séance ne peut que me faire du bien, ne t'inquiète pas pour ça. On s'y met tranquillement, commençant par quelques étirements bienvenus, qui me délassent les muscles avant même de commencer. Me dis pas ça, tu détruis tous mes espoirs ! Je connais pas tant Selen. Du moins, tu vois. Je le vois pas souvent, quoi. Déjà parce que je fais pas de sport, mais aussi parce que c'est difficile de vouloir améliorer ou mieux contrôler mon don. Je lui ferais faire une petite sieste, au meilleur des cas.. J'ai pas vraiment besoin de fatiguer mon corps, ça serait contre-productif. Le détendre, oui. C'est déjà plus dans mon intérêt. On poursuit les étirements et le je lève un sourcil. Tu fais de la danse ? Quel type ? Ça, ça pourrait me plaire. Enfin. Tout dépend de la danse, mais c'est un moyen de s'exprimer et de se libérer, à mon sens.

Elle me darde d'un regard curieux, avant de reprendre la discussion, me rassurant quant à ma souplesse de buche norvégienne. Pourquoi norvégienne ? Aucune idée, je trouvais que ça sonnait bien. Si on se voit régulièrement, j'arriverai peut-être à toucher mes orteils, à terme, alors.   J'ai les yeux qui pétillent ce disant, démontrant l'humour de ma phrase. Encore que, c'est possible que je m'améliore avec le temps. Un peu de challenge, ça me motive finalement !
Sasha commence fort, même si pour elle les positions semblent couler de source. Heureusement pour moi, j'ai un équilibre relativement correct, donc je ne me ridiculise pas trop. Une ou deux chutes, pas plus ! Le silence se fait, outre le son de fond qui me fait un effet relaxant inattendu. J'étouffe un bâillement lorsqu'elle me demande si je vais bien.

- Nickel..! Je savais pas trop à quoi m'attendre, mais ça me plait beaucoup. Je crois que tu vas devoir me supporter lors de tes prochaines séances... Je lui offre un clin d'œil amusé, manquant de perdre l'équilibre pour la peine.