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The deeper you dig- [Blood#1]
(#) Dim 22 Oct - 19:36
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Artères dégueulasses du Bronx pour lui grailler les tripes ; Skye piste sa proie. Molosse dressé pour tuer. Il n’explore pas les décombres du monde, aujourd’hui, avec le sourire ravi d’un connard prêt à dépecer du mutant. Skye n’a d’yeux que pour l’enflure qui lui file chaque fois plus rapidement entre les doigts.
Des semaines, qu’il traque, qu’il cherche une porte d’entrée ou de sortie. Des semaines qu’il tente de trouver un créneau et un coin tranquille. Des semaines en mois pour ruminer sa haine et s’imaginer des discussions à rallonge dans son crâne défoncé.
Peut-être que Mamie Wini(fred) a définitivement tous les fusibles éteints. Peut-être ne lui reste-t-il plus qu’une soupe de neurones. Peut-être qu’elle se trompe. Et peut-être que ce connard de Monsieur Rose en Rosie en Va-te-faire-foutre n’est que le mensonge difforme d’un passé ravagé par la vieillesse. Oui. Une chiasse de peut-être s’entasse sous son front. Mais. Mais il y a la photo. Et il y a les secrets de famille gerbés dans l’inconséquence de délires séniles. Et il y eu ensuite ses photos à lui mis sous son vieux pif à elle. Et puis quoi. Un double, un jumeau ; pour rallumer les possibles et les fuites en avant. Conneries.
Skye mâchonne sa rage, les mâchoires scellées, battoirs dans les poches et épaules voutées. Il se coule aux zonards. L’habitude lui farde la trogne. D’ici ou d’en haut, quelle différence. Des années qu’il s’éclate à jouer sur les deux tableaux. Une œillade sur sa droite et il flaire une embrouille qu’il esquive aussitôt. Tant pis pour Rosie. Il le rattrapera deux rues plus loin. Skye bifurque dans une venelle. S’assure que ce n’est pas un cul-de-sac, le Glock entre ses reins rejoignant déjà sa paume. Il veut. Garder le contrôle de la situation. Il veut. Lui tomber dessus. Et il veut. Lui foutre une balle dans la tempe après lui avoir gentiment craché toutes les saloperies lui gangrénant l’esprit.
Skye ne doute de rien. Skye se sait apte à lui faire bouffer du plomb. Skye est aveuglé par sa haine.
C’est que cette raclure aurait dû retenir sa queue. C’est que cette merde aux pourtours humanoïdes aurait mieux fait de bourrer une autre mamie qui la sienne ; putain de merde.
Son groupuscule de débiles, Skye désormais s’en balance. Ses orphelins à la con, Skye les fera sauter d’un mois à l’autre. Des bombes dans les rues de l’Underapple pour qu’on se souvienne que l’endroit est un bordel sans commune mesure et qu’il faut faire attention - vraiment très attention. Du terrorisme à la sauvette. Personne pour venir l'emmerder.
Il est. L’autorité. Et le droit. Et la protection de toute vie humaine. Sauf pour ceux qui ne méritent plus cette appellation. Sauf pour ceux qu’il faudrait éventrer et suspendre par les intestins pour envoyer divers messages - lesquels, Skye n’en sait absolument rien et Skye s’en branle. Skye n’est pas un diplomate. Lui, il ne veut que faire germer le sang et voir s’épanouir les entrailles à travers l’immensité d’un ciel bétonné ; lui, il ne veut qu'écouter les suppliques marmonnées à son encontre au détour d’un talon dans la gueule ou d’une rotule dans la panse.
Skye s’extrait du boyau et louvoie, mine basse, en direction de l’Est. Croit une fraction de seconde avoir perdu Rosie et puis, l’aperçoit, cinq mètres devant. Dégaine de seigneur débordant de fric, l’indécence d’une vie de pouvoir et de domination. Sa colère lui serpente dans les artères et lui grille les rétines. Skye relève sa chemise, planque son arme à son bas-ventre et reprend la marche. Brave clébard au milieu des autres clébards, sauvages et invisibles ; animal plus qu’homme. Les derniers mois pour lui rappeler qu’il n’est qu’une fiotte sur laquelle l’existence peut amoureusement pisser. Torsion de museau, paluche dressée afin d’en malaxer les traits.
Le Bronx est bientôt quitté et il ne peut - ils ne doivent - pas en réchapper. Car dans les hauteurs, tout sera toujours plus compliqué. Il aurait dû putain qu’il aurait dû, le descendre dans les ruines. Il aurait dû putain qu’il aurait dû, lui exploser la cervelle sur un bout de mur effondré.
Skye avale les dix mètres qui les séparent ; ses semelles martèlent le bitume immonde. Et le silence qui s’étend et l’absence de pupilles pour les scruter le décident. Sa masse s’écrase dans le dos de Monsieur Rose, sa dextre s’empare de ses cervicales pour lui claquer la pommette aux briques à leur droite. La rue adjacente pour les recueillir. Son torse qu’il compresse à ses vertèbres et le canon de son Glock qu’il lui claque à la tempe gauche.
Sa face tordue de répulsion plantée à la tempe droite de l'enflure. Il maintient, donne un coup de genou dans la cuisse droite pour le faire ployer. Pressurise de nouveau leurs masses encastrées contre le mur d’un boui-boui exsudant des odeurs crades de pourriture et graillon. “Pourquoi t’as niqué-” Skye postillonne. Skye est enragé. “Pourquoi t’as niqué ma mamie espèce de-” Skye n’imaginait pas que le toucher ; le sentir ; le rendre réel sous ses doigts ; Skye n'imaginait pas que tout ça pourrait décupler son aversion et plus encore faire flamber ses synapses. “-espèce de connard,” comme un mollard craché sur sa joue. La formulation laisse à désirer - sa formulation vient tout droit du cœur, et sort probablement du cul.
“Choisis,” la crosse de son arme pour lui taper dans la tronche quand son genou continue de lui défoncer l’arrière de la cuisse. “C’est soit dans le crâne,” Skye suffoque, s’étouffe dans sa colère. Skye s’empêche d’aboyer. Skye ne veut pas attirer l’attention. Et c’est une lutte sans merci, avec lui-même. “-soit dans le bide,” et il joint, évidemment, la parole au geste. Skye aime que les choses soient toujours parfaitement claires. Skye serre les jointures. Poing envoyé dans les côtes de Rosie-va-te-faire-foutre. “-soit tes couilles.”
Et la senestre vient câliner l’occiput de l’enflure et les phalanges s’enfoncent, ambitionnent péter la boîte crânienne. La figure de Monsieur Rose goûte dans la seconde à la brique ; pour la deuxième fois. Le profil racé raclé violemment sur le mur. Moins d’une minute aura suffi à Skye pour lui déclarer une bribe de sa pleine vénération. Clé de bras afin de l'embarquer plus loin. Bustes percutant une benne, sa godasse de cuir se refonce dans la chair - mollet qu'il cogne jusqu'à faire céder la jambe. Jusqu'à faire diminuer sa rage.
(#) Lun 23 Oct - 14:51
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Ecouteurs dans les oreilles, Mr Rose écoute, entre deux réunions de crise, son podcast. L’Attaque des Mutants- non, des Titans, n’existe pas dans ce format-là, lui a-t-Elle assuré ; ce sont des animes, et des saisons, et des mangas, et des épisodes, et autant dire qu’il n’y bitte rien. Alors son podcast, qu’il écoute avec une attention exacerbée et très studieuse, lui explique un peu tout ceci. Hajime est très satisfait des animes. C’est selon lui la version parfaite. D’ailleurs il aurait voulu que ce soit ça depuis le début. Et figurez-vous qu’il s’est même inspiré des chara-design des animateurs pour parfaire son manga. Car (…) Un charabia prolixe qui noie la sapience de Mr Rose sous un flot conséquent d’informations presque aussi complexes que l’analyse financière hebdomadaire de l’Arcana. Qu’importe. Il ira au bout des 35 minutes d’écoute ; il ne veut pas être largué comme il a pu l’être la dernière fois, ni non plus passer à côté de cette œuvre propagandiste qui semble tant L'inspirer.
Mais voilà que le monde bascule sur lui-même et que la matière solide de l’underground rencontre sa gueule. Dans un râle surpris, Mr Rose s’écrase contre un mur de briques, propulsé là par il ne sait quelle force, avant que cette force ne s’identifie en des formes humanoïdes. La violence du heurt a fait tomber son écouteur gauche, tandis que le droit s’enfonce douloureusement dans son oreille lors même qu’un battoir lui maintient le profil contre le mur. La bouche d’un canon lui entre dans la tempe, arrachant un rictus à Mr Rose. Il ne supporte pas. Qu’on le prenne. En traître. Dans son tympan endolori, les podcasters continuent de babiller et de débattre, tandis que dans l’autre, bien dégagé comme il faut, tombent des aboiements irascibles. “Pourquoi t’as niqué ma mamie espèce de- espèce de connard.” La cuisse est rudoyée, avant d’être maîtrisée. Ce sont des gestes martiaux. Il parierait sur un mercenaire si le discours n’était pas aussi personnel. Et au-delà d’être personnel, parfaitement incohérent.
Nouvel aboiement. La crosse de l’arme qui lui défonce la tempe. Nouvelle douleur explosant dans sa tête, et avec elle, une colère meurtrière qui lentement grimpe. Soit dans le crâne, soit dans le bide, soit dans les couilles, lui propose-t-on bien aimablement. Et avec ça, la générosité d’un coup qui lui coupe le souffle. Mr Rose encaisse l’agressivité débridée de l’assaillant qui ne sait, de toute évidence, pas à qui il a affaire. La texture granuleuse de la brique achève de lui griffer la chair sur toute la partie aplatie, déchirant au passage le câble de l’écouteur qui tombe avec le reste, pendouillant mollement de la poche de sa veste. Une clé de bras plus tard, et une benne pour le recevoir, c’est un genou à terre qu’on l’oblige à se présenter, l’équilibre instable après tout ce débordement de haine. La masse élégante ainsi humiliée, ne reste plus qu’à Mr Rose le sol de la venelle pour appuyer une main tremblante et retrouver là son souffle, là un minimum de dignité.
Quand il relève sont regard vers l’espèce de petite merde, il ne voit pas grand chose. Il ne voit pas grand chose parce que la terre s’est mise à trembler pour dégueuler la rage noire de Mr Rose, oblongue et furibarde, craquant des rires infects semblables à un désordre strident. Cette rage noire arrive sur l’individu sans prévenir, avec la rapidité d’un train lancé à grande vitesse, télescopage compris. Et tandis que Mr Rose reprend péniblement ses esprits, Jo emporte l’abruti de service dans les hauteurs, ses anneaux fuligineux enroulés autour de sa carcasse qu’il écrabouille, avant de la propulser violemment contre un premier mur de brique. Et puis un second, quand Mr Rose en est à se passer deux phalanges tremblantes sur les écorchures de son visage, et ainsi de suite, chaque fois que l’Originel se découvre une nouvelle balafre. Et vas-y que je t’éclate ta putain de gueule sur le mur de gauche, et vas-y que je te l’éclate sur le mur de droite, et que ça craque bien, et que ça se brise, et que ça dégouline de la cervelle s’il le faut, tandis que le corps aussi y passe, pulvérisé contre les briques, chaque fois plus brutalement à mesure que la colère de Mr Rose se complète.
Quand Jo en a terminé avec l’espèce de petite merde qui ne sait, de toute évidence, pas à qui il a affaire, le tas de viande et d’os et de nerfs est relâché de plusieurs mètres, juste devant Mr Rose qui s’est entre temps relevé, a désossé l’arme d’un geste tranquille, avant de l’envoyer, sans plus ses balles, dans la benne. L’entité ténébreuse produit quelques claquements horrifiants supplémentaires, sans doute un fou rire ou un rugissement hystérique, avant de retourner dans ses pénates chthoniennes, déçue de ne pas pouvoir emporter sa bouffe pour cette fois-ci. Mr Rose, un peu défiguré, démis et décoiffé, prend le temps de retrouver une allure décente, défroissant sa veste, recoiffant des mèches grises, et passant sur ses plaies saignantes un mouchoir en soie qui tâte doucement la chair ouverte. Il s’accroupit au-dessus du corps en charpie, lequel barbotte dans son sang, et ses os, et cette viande qu’il donnera, peut-être, aux vrais chiens de l’underground. Un genou est remis à terre, cette fois volontairement, et ses mains attrapent avec une douceur paradoxale le visage méconnaissable (il ne le connaît de toute façon pas). La pulpe apprécie un instant la mocheté du massacre, caresse une barbe naissante ici huileuse de sang, puis sans prévenir, la dextre s’enfonce dans la bouche, et parce qu’elle est énorme, disloque la mâchoire.
Les doigts se serrent autour d’une molaire ; la pincent ; forcent ; l’arrachent, ce qui demande un coup de main conséquent et un effort non négligeable. Un filet de sang suit l’extraction, ainsi que plusieurs petits nerfs. La dent est observée par le regard mort-vivant, avant d’être empaquetée calmement dans le mouchoir en soie et rangée dans le revers de la veste de Mr Rose. “J’aime savoir qui j'ai tué,” précise-t-il à l’attention de la carcasse. C’est un peu faux. Rarement s’embête-t-il d’autant de précautions. Mais l’incohérence des accusations proférées plus tôt a cela de troublant qu’il pourrait en effet s’agir d’un descendant. Un test ADN lui donnera ou non raison.
Ce qui ne lui fera pas plus pleurer sa mort.
Les satanées mains de Mr Rose reviennent sur le polytraumatisé, et se posent tout aussi doucement sur ses bras ou ce qu’il en reste tant ils sont estropiés par des fractures. Non sans douleur, la matière organique se transforme en des moitié de serpents - eux-mêmes un peu difformes. Ils sont lourds et autonomes de toute volonté humaine ; le premier vient planter ses crocs dans la nuque sanguinolente de l’assaillant. Sensation de froid, morsure vénéneuse. La gueule animale se recule, laissant derrière elle deux trous dans la chair. “Ne laisse jamais le choix à tes victimes mon garçon. Soit tu les tues, soit tu les tortures. Le reste n’est que du spectacle de rue ; et je n’ai pas le temps d’assister à ce genre de bouffonneries,” exprime-t-il d’un ton égal au visage anéanti, tapis de sang qui reçoit son souffle tiède.
Un doigt indique brièvement la morsure apposée. “Je viens de t’inoculer un venin mortel, lent et douloureux. Tu as quinze minutes pour me dire qui tu es et ce que tu me veux. Après quoi tes membres se paralyseront et tes organes lâcheront les uns après les autres. Je connais quelqu’un qui pourrait te donner un antidote ; mais ma coopération avec toi va dépendre de la tienne.” Les serpents sifflent et crachent au-dessus de la figure massacrée. “En revanche, si je considère que tu me fais perdre mon temps avant ces quinze minutes, j’ordonne à ton bras droit de te tuer sur-le-champ.” Quelque borborygmes indistincts. La figure seigneuriale de Mr Rose, toujours aussi raclée, se fend d’une mine concernée. “Tu comprends ce que je dis ?” Pas sûr. La viande est rarement attentive quand on la bat à mort. Le serpent de droite ondule, obligeant l’épaule humaine à suivre ; autant l’achever de suite, lui propose-t-on dans le canal de communication antinaturel. A moins qu’il ne se parle de lui à lui. Paraîtrait-il qu’il est taré.
(#) Lun 23 Oct - 17:52
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Dans les nombreux scénarios inondant son cortex, Skye avait le dessus sur cette grosse saloperie de Monsieur Rose. Dans ses très nombreuses trames narratives, Skye lui envoyait du plomb dans la carne. Plusieurs fois quand il était très en colère. Une seule fois quand il était simplement vengeur. Et parfois même pas du tout lorsque la fatigue le culbutait - à défaut, ses os se brisaient sur ses os avec une rage en joie passablement démente. Ce que Skye n’avait pas construit dans son petit imaginaire merdique, c’est qu’il puisse sortir de la ventraille du monde une saloperie gigantesque pour l’arracher du sol. Une saloperie gigantesque dont il n’a même pas le temps de concevoir la forme et l’ampleur. Ses semelles quittant la voute terrestre pour rejoindre la voute céleste. Et à son corps d’être enveloppé puis comprimé puis brisé ; un serpent, il comprend. Car seul un serpent peut envelopper un corps tout entier avec autant de consistance, car seul un serpent peut s’enrouler autour d’une silhouette - Et Skye cherche, en dehors de lui-même, le mot qui lui manque. Il met un temps infini, à trouver ce putain de mot. Constriction. Et tandis qu’il cherche, Skye entend craquer ses os. Et Skye sent péter ses organes planqués sous ses kilos de viande, aussi. Il remarque, détaché et goûtant pour la seconde fois de sa vie à la joie de voler dans les airs, que c’est une sensation inédite.
Il aurait dû gueuler (il le fera), il aurait dû avoir les yeux exorbités et la peur panique qu’on réserve aux victimes d’accidents ferroviaires ou- Et Skye recommence. Et Skye cherche le mot qui lui manque encore. Mais ses neurones explosent autant que sa cervelle lui jute de la bouche et du pif et des oreilles. Alors. Il ne sait plus croiser deux pensées cohérentes et sa nuque craque et sa tempe s’ouvre et- Tout est allé si vite qu’il a oublié, quelque part à terre, son instinct de survie autant que sa conscience qui désormais s’éparpille sur les murs - Skye découvre qu’ils sont nombreux (vraiment très nombreux) dans le coin ; Skye découvre un nouveau monde ; un monde de briques et de ciment et de béton et parfois même d’acier que la crasse de l’Underapple n’a pas encore réussi à ronger entièrement. S’il avait un tant soit peu d’amour envers lui-même, Skye pourrait, avec les dernières miettes de perceptions qui lui restent, implorer Dieu ou implorer ce serpent de ténèbres de le relâcher ; de faire marche arrière, de rembobiner la bande et puis surtout il jurerait qu’il ne recommencerait pas ce qu’il était, il y a- Il y a combien de temps ? Il y a moins d’une minute. Skye jurerait donc, qu’il ne recommencerait pas ce qu’il était en train de faire à Monsieur Rose il y a moins d’une minute. Mais Skye est un être (un connard) pétri de révulsion, buté à crever (ce qu’il est en train de faire) et noyé dans les miasmes de sa haine - et sa haine pour les autres, nous le savons, est généreuse. Mais. Sa haine pour lui-même dégoupille toutes les putain jauges présentes sur la scène de ses crimes et des crimes contre l’humanité. Alors, Skye la ferme et Skye observe - ou du moins essaye - ce qui le démolit ce qui l’écrase ce qui le désarticule ; ce qui l’éclate (et s'éclate) purement et simplement sur les murs crasseux (mais pas trop) de cette mirifique contrée qu’est le Bronx.
Et puis soudain c’est le vide.
Dans ce vide, pas de soulagement. Juste du vide. Le vide sous lui qui l’absorbe. Ce putain de vide qui lui démet un peu plus les nerfs et les muscles et les os ; sac de barbaque amorphe. Skye rejoint l’asphalte aussi violemment qu’il en était parti. Ce que Skye ne percute pas (car Skye est un abruti forcené) c’est qu’autour de lui, déjà, tout se vide autant que le vide qui l’habite. Un vide dont il se gorge ; un vide qui avale le vide ; un vide qui fout un bordel monumental dans la zone. Flux et reflux s’éparpillent. Skye sans être Skye irradie. Bouffe tout ce qui lui est à portée. Un putain de plateau télé à disposition d’un crevard crevé. Skye sans être Skye défonce tout sur son passage qui n’est pas un passage. L’absorption terrasse le réseau électrique sous eux jusqu’à faire fondre les câbles ; et tout disjoncte. Le noir complet dans le noir pas si noir mais tellement noir - Skye ne voit plus rien. Skye a les pupilles comme deux soucoupes qui lui mangent le bleu des yeux. Du noir sur du rouge. Et ça continue et il pulse ou il aspire pendant que l’enflure lui ouvre les mâchoires - ou ce qu’il en reste. Lui défonce davantage - si c’est encore possible - la mandibule et lui- Et lui quoi ? La douleur sur la douleur explose. Vrille sa conscience à la faire rouler dans le crâne et se cogner aux parois pour finalement courir par la bouche dans un râle de gargouillis et de clapotements foireux ; sa glotte baignant dans ses substances. La molaire perdue s’ajoutera à la liste des dents perdues ou pétées préalablement.
”J’aime savoir qui j'ai tué,” dit l’enflure. Mais Skye est devenu sourd. Skye a les prunelles hagardes et le souffle fuyant.
Et Skye persiste et dévore pareil à un putain de morfale irrassasiable. Ogre d’un nouveau genre. Gargantua discret. Absorption de tout ce qui le frôle l’entoure le croise et recroise. Aux batteries de sauter désormais. De se vider et de le remplir. Sitôt tout surchauffe, du plus petit appareil au plus gros, et menace prendre feu. Et aux mutants de fermer leurs grandes gueules aux mutants de claquer dans ses pattes, enfin ; aux monstres de se vider eux-aussi pour de bon et de découvrir la saveur du vide en vertige qui l’habitude. Aux monstres de perdre un peu de leur race pour le nourrir. Ce qu’il y a de terrible, là-dedans, c’est que Skye derrière Skye ne désire absolument rien ; Skye derrière Skye voudrait qu’on lui foute la paix et qu’on le laisse s’étouffer dans son hémoglobine et sa douleur et sa cervelle qui, il y a maintenant quelque secondes, a cessé de fuiter par son nase brisé autant que par son tympan percé. Et tandis que sa cervelle se recompose autant que ses organes saccagés se reforment autant que ses os brisés se remettent bout à bout dans un puzzle sacrément dégueulasse aux bruits spongieux et autres craquements sordides inondant tour à tour la rue ; Skye percute que ce n’est fatalement pas déconnant, tout ça. Car c’est à cause de Monsieur Rose en Va-te-faire-foutre qu’il est en vie. Alors ce sera grâce à Va-te-faire-foutre en Monsieur Rose, qu’il obtient sa mort.
Skye est un rêveur. Et Skye est un poète. Et Skye se berce trop souvent et irraisonnablement de délires poisseux. ”Ne laisse jamais le choix à tes victimes mon garçon. Soit tu les tues, soit tu les tortures. Le reste n’est que du spectacle de rue ; et je n’ai pas le temps d’assister à ce genre de bouffonneries,” dit la merde humanoïde dont il ne voit plus le visage depuis que ses globes oculaires menacent lui jaillir des orbites. Mais Skye entend. Et tandis qu’il entend Skye percute, avec une violence égale à celle du serpent de ténèbres l’ayant envoyé valser dans les hauteurs, qu’il n’est pas sur la bonne pente pour rejoindre les néants. Skye conçoit sans vouloir le concevoir que la pente descendante est devenue grimpante et que son corps refuse de laisser s’échapper son âme. Et que son corps a décidé sans son consentement (c’est que, de toute évidence, le consentement n’est pas un mot ni même un concept ayant une force présente et surtout vivace, en travers sa petite existence pourrie) n’a pas été requis.
”Je viens de t’inoculer un venin mortel, lent et douloureux. Tu as quinze minutes pour me dire qui tu es et ce que tu me veux. Après quoi tes membres se paralyseront et tes organes lâcheront les uns après les autres. Je connais quelqu’un qui pourrait te donner un antidote ; mais ma coopération avec toi va dépendre de la tienne.” ajoute l’enflure qui lentement reprend densité et surtout traits. L’enflure au-dessus de lui. Qui lui parle de- De quoi ? Skye vrille ce qui lui reste de visage sur le côté, et remarque sans s’émouvoir tout à fait, qu’il n’a plus de bras mais des serpents à la place des bras et soudain tout fait sacrément sens. Un serpent d’ombres et des serpents-bras et tous ces serpents pour répondre aux exigences de Va-te-faire-foutre. L’appellation qu’il avait entendu n’était donc pas qu’une connerie de gros débiles mais un surnom adapté à un être aux capacités monstrueusement adaptées. Va-te-faire-foutre en Serpent. Skye suppose qu’il aurait dû pousser un peu plus loin les investigations. Skye présume que pousser un peu plus loin les investigations lui auraient évité un corps en lambeaux-granulés-esquilles-flaque. “En revanche, si je considère que tu me fais perdre mon temps avant ces quinze minutes, j’ordonne à ton bras droit de te tuer sur-le-champ.” explicite Rosie (Skye revient à lui, c'est une bonne nouvelle). Et Skye rote du sang ou se dégobille non dans la bouche mais dans la gorge. “Tu comprends ce que je dis ?” Skye tente d’articuler trois mots. Skye écarte ses mâchoires réencastrées quoique pendantes. Skye voudrait lui dire : Je t’emmerde, complété mentalement par Va-te-faire-foutre. Mais Skye est incapable d’articuler quoi que ce soit. Et Skye ne fait que cracher des gémissements-râles glauques et postillonner du rouge et faire des bulles de- Ces substances là sont non-identifiées, de cadavre en sursit.
Et les petites aiguilles des montres qui ne peuvent plus tourner sur les cadrans mais peuvent au moins continuer de rapper la surface du monde continuent donc leur trajet. Minute en minutes. Et Skye continue de bâfrer en silence - son silence est très bruyant. Son silence est un amoncellement de froissements d’ébrouements de dissonances de craquellements de brisures d’échos et de grésillements ; et bruits sourds, de suffocations en asphyxie, de sifflements, de claquements, de clapotements, de râles et de râles et de râles. La douleur ajoutée à la douleur sur la douleur et encore la douleur. La douleur partout pour lui noyer la conscience à trois reprises et lui faire abandonner la réalité à cinq reprises. Et Skye sans être Skye continue de croûter sans commune mesure tout ce qui traîne dans les parages ; s’étend et se rétracte pour s’étirer de nouveau. De bas en haut de droite à gauche. Tout y passe. Et une alarme incendie finit par retentir pour s'allier à une seconde et rapidement une dizaine.
Et à Skye de rouvrir les prunelles après une énième escapade au pays des éléphants roses pour retomber sur le visage de Rosie qui ne l’a pas quitté - Rosie qu’il aurait préféré constater disparu égaré volatilisé, Rosie qui continue de le couver de son attention de merde dans l’attente de ses réponses de merde dans un environnement hurlant sonnaillant vrombissant de ses propres conneries en supplices de merde. Skye bouge les mâchoires et tout grince et tout craque et ça lui soulève une salve en douleur ajoutée à la doul- Skye revaldingue au pays des Dumbo sous acides et reparaît trente secondes plus tard, les orbes striés d’écarlate et son océanique pour se planter dans les rides du front de Monsieur Rose. Puis finalement chuter sur ses sourcils puis sur ses yeux puis son nez et ses lèvres et- “J’t’emm-” il y était presque. La toux lui démonte d’emblée trachée et thorax et ses côtes hurlent au scandale.
D’accord, d’accord. Skye n’a peut-être pas encore récupéré toutes ses facultés. D’accord, d’accord. Skye doit encore recoller et ressouder quelques larves grises à l’intérieur de sa boite crânienne redevenue ronde et ferme sous sa tignasse hirsute et poisseuse de son hémoglobine et de son cerveau - du moins, de son ancien cerveau. Et soudain la peur l'égorge et fait pulser de nouveaux les déchirures qui le déchirent continuellement. Une peur primitive. Celle d’oublier des morceaux de sa vie. Et alors, et seulement alors, - après dix bonnes minutes d’une inconséquence douloureuse certes mais dénaturée ; Skye a l’océan des iris qui méchamment cherche à s’évader hors de sa tête. Des larmes pour lui gonfler les billes et lui dégouliner sur les tempes ; immondes, les tempes. Immondes mais de nouveaux conformes aux standards de la race humaine.
Et une minute supplémentaire s'égrène afin de les porter et transporter (lui et Monsieur Rose ; car n'existe à cet instant précis plus que lui et uniquement lui et Monsieur Rose) à travers le chaos boursoufflant les quarante mètres en sphère d’un cosmos appartenant à Skye qui n’est pas Skye, mais Skye le monstre détraqué et affamé. “T’as niqué-” oui, il le sait. Rosie a niqué mamie Wini. Ce n’est pas ce qu’il demandait. Ou peut-être que si. Ou peut-être que- Skye ne se rappelle plus où ils s’étaient arrêtés dans cette grande conversation de deux à un moins un plus un reparu des tréfonds de l’univers. “Skye,” lâche-t-il entre deux rots sanglants. “Comme le-” il tousse, crache son carmin. Nuque tordue, tronche ravagée par la douleur sur la douleur ; buste soulevé et grinçant et sifflant. L’occiput reclaque sur le bitume et sa tignasse retrouve sa petite flaque rubiconde. “Ciel mais avec un e,” c’est important, extrêmement important, pour lui. Les détails sont ce qui rendent grâce au- Bon, bon, d’accord. Skye s’en balance mais Skye ne sait plus ce qu’il doit dire et Skye il se peut, doucement, sans plus de violence cette fois, et pour la première fois de cet entretien avec Monsieur Rose ; oui, Skye commence à paniquer. C’est qu’il avait droit à quinze minutes se rappelle-t-il perdu aux remugles de sa cognition, et les quinze minutes sont bientôt écoulées. Et. Et quoi ? Et Skye n’a pas percuté qu’il était encore - miraculeusement - vivant et que le connard de serpent-bras au venin super venimeux peut aller se faire enculer (Skye n’a pas encore récupéré toutes ses facultés, n’est-ce, et la cause animale échappe à son entendement, évidemment) “Winifred Harper,” voilà un bon début. Mamie Wini de retour sur la scène, aux bras de Rosie en Va-te-faire-foutre. Et le regard de Skye ne larmoie plus mais flambe. Skye réapprend à exister - malgré ses deux bras en moins quand à l’autre bout du corps, il redécouvre ses deux jambes et décide vaillamment de les bouger car l’immobilité est une chose difficile, pour ne pas dire impossible, chez ce môme turbulent en forme d’adulte - et le mouvement provoque un gémissement (Skye ne doute de rien) en cri (c’est un hurlement) qui presque aussi vite expiré se liquéfie en gémissement (s’en est un, désormais) en grosse chiale écourtée (Skye est un mec, putain, et un mec ça ne pleure pas). “Ma poche,” explicite-t-il. Sans préciser laquelle. Il ne peut pas. Il ne peut plus. “J'suis pas un pédé,” jappe-t-il aussi sec. Car ça, oui, il doit le préciser. Laquelle de ses vingt mille poches pour retrouver la photo de mamie Wini, c'est un détail. Un détail qui compte moins que son orientation sexuelle qui en 2025 aura pris quelques coups dans la gueule - elle aussi.
[lancer de des]
(#) Lun 23 Oct - 20:24
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A sa demande, rien de plus qu’un gargouillement moite. Rien de plus que l’agonie en bord de gueule, vitrifiant le massacre sous forme de vernis rouge - et toutes les nuances de rouge. Mr Rose ne s’en émeut pas. Les corps déchiquetés, les pleurs qui s’ensuivent, et la mort qui succède, sont des choses auxquelles il assise depuis bien longtemps. Le garçon sous lui, sans doute complétement con et arriéré pour avoir osé faire et croire et prétendre ce qu’il a fait et cru et prétendu, ne nageait même pas encore dans les burnes de son géniteur quand Mr Rose assistait (provoquait) déjà tout cela. Sa lignée de dégenrés n’existait sans doute même pas. A moins que, bien évidemment, le géniteur de cette sous-merde ait alors nagé dans ses propres burnes. Un pincement de lippes. Il ne l’espère pas. Mr Rose n’aime jamais se découvrir des descendant·e·s et préfère se dire que rien de lui n’a survécu, si ce n’est un idiot de fils et une lointaine branchille - portant d’ailleurs tous les deux le nom de W., nom exécré au possible, signature dégueulasse d’une famille qu’il a haïe autant qu’il peut haïr ses propres noirceurs. Il ne peut rien y avoir de bon en Ernest et Cory. Et sans doute finira-t-il un jour par les tuer.
Mais alors qu’il pense le cas du tas de viande foutu et qu’il prémédite déjà le laisser à son agonie, tout autour cède à une absorption, laquelle centrifuge les énergies jusqu’au corps polytraumatisé. Des alarmes retentissent, des réverbères s’éteignent, des habitations perdent leur foyer et partout où le néon s’est étendu, l’obscurité frappe. La seule pupille vivante de Mr Rose met un petit temps à se réadapter à la nouvelle pénombre, de même que son corps mutant se sent diminué dans ses capacités. Le profil lacéré de moitié se penche légèrement en avant, l’attention curieuse, pourtant placide, se plantant sur le visage ruiné du type qui perd certains de ses stigmates dont les plus graves. Et les syncopes commencent. Plusieurs fois d’affilée, elles emportent l’esprit de l’individu dans de sombres vapes desquelles il émerge à cycle variable, souffrant presque autant qu’il profite de ces pauses intrinsèques. Véritable monstre de Frankenstein, que l’électricité pompée ranime par vagues foudroyantes. Au-dessus, Frankenstein en personne observe le phénomène, intrigué par sa force et le délire douloureux dans lequel est plongé ledit monstre. Une main finit par s’apposer sur le thorax broyé, plate et légère, appuyant parfois sans prévenir pour faire craquer d’autres os cassés, sensible aux fluctuations que génère ce qui est, a priori, une restitution bancale et agressive d’un certain état : ni bon, ni passable, mais assez pour survivre.
Les respirations affolées soulèvent une nouvelle fois sa pogne. Il ne le console pas. N’en a pas envie. Ça reste une petite merde qui a voulu lui canarder le crâne, le bide, ou les couilles. Il n’y aura pas un mot sage ou apaisant à son endroit, dans la mesure où il a très envie, entre chaque nouvelle respiration, d’appuyer de tout son poids sur la cage thoracique, y faire céder le squelette, transpercer les poumons, comprimer le cœur. La paume reste cependant sage. Finit même par suivre les halètements comme s’il s’agissait d’un exosquelette, celui-là solide, calme, intact. Il y a quelques mots qui sont expirés, des débuts d’insulte plate et sans saveur que Mr Rose n’entend même pas, concentré à étudier à travers la pénombre les différents masques de haine, d’horreur, de souffrance et de panique, que le mutant dégueule dans sa transe. Les parages continuent d’être plongés dans le noir, cannibalisés par la carcasse en demande, dévoreuse convulsive de tout mégawatt à portée. Mr Rose repense au feu, aux racines, au sang et à la résurrection de Celle qui aurait dû crever dans une cellule. Sa paume s’aplatit un peu plus, momentanément protectrice, abominablement aimante, cruelle malgré tout dans son poids qui persiste.
Nouvelle émergence. Des yeux pareils à ceux d’un cadavre réanimé par le tonnerre. Et les babines dégoulinantes de morve, de bave, et d’hémoglobine, qui retrouvent le chemin de la parole. “T’as niqué-” Il paraît. Ça reste à confirmer. Mr Rose ne nique plus beaucoup depuis que Mr Rose a passé quarante piges à compter ses doigts de pieds dans la géhenne et le tourment. Quoi que. Ça aussi, c’est assez faux. Mr Rose nique assez, et plutôt même pas mal, depuis quelques semaines maintenant ; état de grâce qu’il ne doit plus seulement à sa compagne, mais à deux têtes blondes qui lui ont pompé elles aussi toute son énergie. D’une autre façon. Plusieurs autres façons. La gueule seigneuriale se penche un peu vers le côté. Quel âge il a, celui-là ? 20 ? 30 ? 40 ? Il ressemble à un enfant, dans l’instant. Un gamin perdu au milieu des décombres, les billes ahuries par un traumatisme qui ne vient pas - ou ne se finit plus. Il n’est pas blond, lui, c’est déjà ça. “Skye. Comme le- Ciel mais avec un e.” La toux de fin de vie a rendu difficile l’obtention de cette réponse. “Skye. Comme le ciel mais avec un e.” Hochement de tête. Leçon retenue. On fait vraiment de tout et n’importe quoi ces temps-ci, en terme de prénoms.
“Winifred Harper.” La mamie en question, il suppose. A moins que le gamin lui allonge ses trois prénoms à la suite. Chez Mr Rose, aucune cloche ne sonne, pour la simple raison qu’il ne pas retenu tous les patronymes de celles qu’il a enquillées. Une histoire vieille comme le monde. “Ma poche. J'suis pas un pédé.” Un sourcil se hausse. “C’est bon à savoir.” Qu’est-ce qu’il peut s’en foutre. La dextre quitte le thorax, emporte avec elle sa chaleur, et fouille dans les poches à disposition, sans gêne aucune. Il tire deux conclusions à sa fouille : il n’a pas d’autres armes, et il dit vrai. Il y a bien quelque chose dans l’une d’elles. La photographie est dépliée sous le regard mort-vivant de Mr Rose. Un vieux cliché des années cinquante sur lequel on le voit dans un miroir, assis à côté d’une femme à la permanente parfaite, l’appareil braqué vers leur reflet. L’odeur du pot pourri présent devant le miroir lui revient instantanément. Bien plus rapidement que ne lui revient le souvenir de Winifred Harper, petite catholique rangée, mariée de surcroît, qui lui avait offert un festin de transgressions. Elle poussait des petits cris outrés à chaque fois qu’elle jouissait. “Ah. Winifred, oui.”
Il garde un moment la photographie entre ses doigts, songeur, soudain loin de l’underground, retournant à une époque où il pensait que Sophie était encore en vie. Winifred avait constitué une parenthèse éphémère dans la longue cavale assassine des Lewis, un casse-dalle qu’on s’enfile entre deux efforts pour reprendre un peu des forces. Un casse-dalle trouvé par hasard en sortant d’un bar où il avait noyé sa peine loin des autres Lewis. Elle sortait de l’hospice où elle avait passé la soirée à soigner bénévolement des malades. Une vraie sainte. Ça l’avait touché, mais il ne s’en souvient pas. Mr Rose, tel que les profondeurs l’ont recraché, ne se souvient que de la manipulation méchante commise sur Miss Harper et des petits cris qu’elle a poussés loin des bras de monsieur son époux. “Et tu m’en veux parce que…? J’ai eu une aventure avec mamie ?” tente-t-il de comprendre, le timbre las. Son regard se déplace légèrement derrière la photographie. “Il est assez peu probable que je sois ton grand-père.” Cinq fois en deux jours ; probabilités élevées. “Et quand bien même. Qu’est-ce que tu veux que j’y fasse.” Il pourrait le buter. Une bonne fois pour toutes. Réduire à néant ces branchilles malingres qui continuent de poindre ici et là. “Qu’est-ce qu’elle devient, Wini ?” s’enquiert-il pourtant, redevenant songeur alors que son regard est derechef évincé par le carré de la photographie. Elle est sans doute morte. Tout crève. Sauf lui et ses horreurs. Sauf le gamin et sa carcasse démolie. Il jette un coup d’œil distrait à sa montre, dont les aiguilles se sont arrêtées. Soupir. “La paralysie, tu commences à la sentir ?”
Déchirure neutralisée : Corruption [lancer de dé]
(#) Mar 24 Oct - 18:02
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“C’est bon à savoir,” largue Rosie. Et Skye soudain se détend. Skye peut profiter de sa géhenne sans craindre qu’on lui touche les burnes. L’océanique se paume au ciel pas si ciel ; au noir pas si noir. Skye sent plus qu’il ne l’a jamais ressenti son corps ; tout entier. Du moindre nerf au moindre muscle au moindre putain d’os. Et la souffrance qui lui cisaille la conscience est telle qu’elle ne s’appelle même plus souffrance. La souffrance est telle qu’elle n’a plus de nom ni même de forme ; elle devient. Et elle reste. Sa douleur est partout. Et il est nulle part. Une agonie irréprochable. Skye est en lui et à l’extérieur de lui et les lancinations à travers ses nerfs tendus et déchirés insufflent autant de vie à son organisme qu’elles lui retirent de raisonnements intellectuels. Masse de barbaque déformée et reformée ; morceau de viande convulsé sur le macadam du Bronx.
Skye la ferme. Et c’est un miracle, un putain de miracle. Skye écoute les sifflements de ses serpents-bras et s’interroge, sur la suite. Alors, tandis que Monsieur Rose palpe, tandis que les paluches s’insèrent entre les tissus : poches de blouson autant que poches de futal fouillées ; Skye divague. Et Skye rêve. Et Skye a les pupilles tellement dilatées qu’elle absorbe le monde, désormais. Il voit l’univers et ses milliards d’étoiles qui ne sont en réalité que les connexions de sa cervelle beuglante qui tranquillement flambe à l’abri de son crâne.
“Ah. Winifred, oui.” Winifred. Le prénom suspendu entre eux deux. Skye ne percute pas. Skye est fasciné par les chemins que prennent les étoiles devant ses prunelles sur la toile de fond anthracite de l’underground. “Et tu m’en veux parce que…? J’ai eu une aventure avec mamie ?” La question le tire hors de sa contemplation. Les billes glissent vers Rosie qui, la photographie entre les doigts, médite sur sa connerie. Rosie cogite sur une solution efficace - plus efficace que celle qu’il vient de lui faire subir - afin d’effacer cette trace de sperme qu’il représente sur la longue banderole qu’est son existence. Skye tergiverse et Skye se paume et Skye oublie brusquement ce dont il était question.
Il persiste dans son mutisme. Le souffle court mais récupéré. Les douleurs sur les douleurs au thorax qui lentement mais surement retrouve un semblant de normalité. “Il est assez peu probable que je sois ton grand-père,” argue l’enflure en reflet de Va-te-faire-foutre et Skye s’étouffe dans sa colère- “Et quand bien même. Qu’est-ce que tu veux que j’y fasse.” … et crache sa morve autant que son sang et sa bave et d’autres substances venues des profondeurs de ses boyaux ravagés. Il lui faut une minute supplémentaire pour refréner, et les joutes infernales lui morcelant le torse et les griffes plantées à l’intérieur de sa trachée. “Qu’est-ce qu’elle devient, Wini ? — Elle-” Glotte inondée. Il s’étrangle et se tortille. Voudrait se redresser parce qu’il ne supporte pas être allongé parce qu’il enrage de devoir être immobile et sage. Et puis, il doit gerber. La tentative de réponse est avortée et Monsieur Rose s’en balance. Monsieur Rose est très occupé : il lorgne sa montre qui ne fonctionne plus - Skye a sucé la pile et Skye en est, bizarrement et brièvement, très satisfait. Au moins, il aura réussi à le faire chier jusqu’au bout.
“La paralysie, tu commences à la sentir ?” Une énième question. Les orbes dérivent derechef vers le visage de Rosie en Va-te-faire-foutre. Et Skye gigote encore, dans sa mare de sang. Quelques crépitements se font entendre. Son corps s’insurge et Skye s’en fout. Les sifflements furieux des serpents-bras l’indiffèrent tout autant. Epaule enfoncée au bitume, nuque tendue, il parvient enfin à cracher-dégobiller ce qu’il garde depuis des minutes dans le fond de la gorge. Une convulsion le prend et lui arrache un râle et lui fait juter son rouge par la gueule et le pif. Ca ne s’éternise pas. Il repart en arrière. L’épine dorsale retrouve la moiteur et tiédeur de son hémoglobine répandue. Skye retrouve ses étoiles et son ciel bétonné, également. Battements de paupières - l’une des deux ne fonctionne plus. Arcade explosée, gonflements violacés.
Les rétines revenues et plantées à la figure de Monsieur Rose. Il cherche sans chercher, quelque chose à quoi se raccrocher. Il cherche sans chercher, une ressemblance et puis s’immole la conscience et chuinte : “est-ce que-” c’est d’une importance capitale, au point où il en est. Mais comme tout le reste, ça lui passe, ça s’efface. La douleur sur la douleur sur les douleurs pour lui gommer les songes et lui épingler à la surface de la raison ce qui pourrait - sans qu’il ne le souhaite - lui sauver la peau. “J’sais pas si-” il ne sait plus énormément de choses, à cette heure en minute en seconde. “J’sens plus mes pieds et puis” il tousse, aspire aussitôt une goulée d’oxygène. Dans les bronches, l’air fuite. Ca siffle autant que ses bras-reptiles. “Mes bras,” justement. “Mes bras est-ce que-” Est-ce que quoi. “Est-ce qu’ils vont rester-” comme ça. “Est-ce que si,” ils restent comme ça. “Ils pourront,” pourront quoi. “Apprendre des tours,” c’est important. “Pour-,” mais encore. “Pour me brosser les dents et puis-” il se peut que Skye panique, de nouveau. “-et pour tenir une cuillère et-” Il panique putain qu’il panique, non pas de devenir un animal de foire - il l’est déjà. Mais de devoir réarranger son petit train-train quotidien. Changer ses habitudes dans lesquelles il se cogne et se recogne est une angoisse - l’une des pires qu’il puisse éprouver.
Skye liste les éléments primordiaux de son existence. Ils ne sont pas nombreux. Ils ne devraient, lui et Monsieur Rose, pas en avoir pour très longtemps. “J’ai-,” il en a une, c’est vrai. Elle est revenue depuis moins d’un mois, mais ça compte quand même, n’est-ce pas. “-une copine et”, et ça peut poser problème, tout ça. “Est-ce que-” Skye a le débit défoncé autant que les paroles défoncées autant que les pensées défoncées. Une maniaquerie propre à celle qu’aurait un môme le pousse néanmoins à continuer sur sa lancée. Ou peut-être pas. “Elle est à l’hospice,” Mamie Wini, pas sa copine. “Elle a pété un fusible et-” c’est qu’il en connait un rayon, en fusibles. Alors, il peut se le permettre. C’est qu’il en fait péter beaucoup et qu’il en pète beaucoup, lui aussi, à l’année. Skye n’en a pas conscience mais sa voix est revenue d’outre-tombe. Autant que son souffle. Autant que sa respiration. Skye a martelé et repeint de ses fluides les murs et le sol de l’Underapple il y a environ vingt-minutes, à présent. Et Skye respire et Skye délire.
Skye est brulant de fièvre. Toute sa peau prise de frémissements, les poils dressés et le crin tirant sur son cuir chevelu. “Elle m’a raconté toutes les saloperies qu’vous avez faites et putain-” Skye devrait la fermer mais Skye n’y parvient plus. Les mots lui sortent d’entre les crocs et sa langue pâteuse martèle joyeusement son palais. “-putain j’aurais bien voulu m’en passer parce que les détails merde les détails c’est putain de dégueulasse d’imaginer des vieux niquer,” Skye est un homme simple. Avec un goût cru pour la violence dans le sexe, certes. Mais de là à s’exciter sur deux vieux se tapant le cul, il y a un fossé. “Et elle m’a dit que ma mère ma mère ma-” Il faut respirer. “-elle est pas de papy Ronald et qu’elle était même pas trop désolée parce que ce connard de papy Ronald est mort deux ans après et elle a épousé par derrière mon papy” Skye se perd. Pour la combientième fois. Il faudra compter. Skye a le regard qui valdingue d’un bord à l’autre. Skye a très chaud. Non, Skye crève de chaud. Skye sue sous tout son sang. Des gouttes pour lui glisser sur les tempes et dans la tignasse et lui tremper les jambes et le torse. “Papy G, mais en fait c’est Papy Georges et-” L’attention est subitement captive de phalanges et d’ongles ; Monsieur Rose semble lui déchirer la face. Il ne faut pas lui en vouloir : Monsieur Rose ambitionne des réponses.
Les sourcils se haussent et la bouche reste ouverte sur ses explications et Skye s’enfonce et Skye se souvient que Monsieur Rose avait demandé si- “Je sens toujours pas mes pieds ni mes bras mais pour le reste wah-” il s’extasie “j’ai jamais aussi si bien senti mon corps genre vraiment je sens tout et j’sais pas trop si j’aime ou pas vraiment j’sais pas-” les cils empoissés de Skye se collent et décollent et il reprend. Il n'est plus possible de lui faire fermer sa gueule sans devoir lui redéboîter la mâchoire. “Ma mère elle est-” le regard fuit. Skye s’enfuit. L’intellect refuse de céder. Skye n’a pas encore assimilé que si sa mère n’est pas de papy Ronald mais de Monsieur Rose, alors sa mère est une mutante alors sa mère est un monstre alors toutes ses fondations solidement scellées au fin fond de sa psyché risquent de s’écrouler. “Ma mère elle est morte quand j’avais quinze ans parce que j’ai pas réussi,” Skye et sa culpabilité. Skye et ses traumatismes. Skye qui dans la fièvre vire de l’euphorie à la terreur ; ses hallucinations font pencher les murs et les murs menacent de le recouvrir à nouveau.
Et puis tout recommence. “J’ai pas réussi à la sortir des décombres,” et Skye hoquette. Skye a la tronche qui tremblote sur sa nuque qui grelotte. Skye est un incendie mais Skye désormais crève de froid. Il frissonne et claque des dents. Tout va trop vite tout va si vite ; son corps est une grenade dégoupillée. “J’t’ai-,” Skye se reprend. Skye n'a pas été éduqué chez les sauvages. Skye a appris les bonnes manières. D’accord, d’accord. Skye les a apprises à coups de brimades et de frustrations. L’armée pour le museler et lui tatouer sur le front les limites - limites qu’il oublie limites qu’il ne respecte jamais limites qui dans sa détresse en apnée en égarement retrouvent une place confortable. Mais temporaire. “J’vous ai vu faire des trucs là-bas,” et d’ajouter “pas loin d’où elle est encore enterrée.” Il n’a pas fini d’espérer qu’un jour ou une nuit, il la retrouvera. Il la récupérera. Skye est tenace. Skye est un fou furieux doublé d'un fêlé.
“Monsieur Rose,” si seulement il s’entendait. Oh putain si seulement il s’entendait, Skye hurlerait et s'auto-tabasserait. “pourquoi vous niquez des vieilles pour créer d’autres monstres.”
(#) Sam 28 Oct - 12:01
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“J’sens plus mes pieds et puis-” Un regard vers lesdits arpions, la considération froide au coin des yeux. Mr Rose ne s’inquiète pas pour l’incoercible garçon aux relents de petite merde. S’il s’inquiète, c’est que l’interrogatoire arrive à sa fin sans lui avoir livré toutes les informations ; il sait qu’il s’appelle Skye avec un e, et que sa grand-mère était Winifred Harper. Mais il ne sait pas pourquoi il lui en veut. Elément consistant ayant de toute évidence traversé ses gènes : se poser les mauvaises questions ; et au-delà de ça encore, poser les mauvaises limites. Son patrimoine. “Mes bras est-ce que- Est-ce qu’ils vont rester- Est-ce que si- Ils pourront, apprendre des tours- Pour-, Pour me brosser les dents et puis- et pour tenir une cuillère et-” Le serpent de droite ondule sur le poitrail soulevé d’angoisses. Il est prêt à mordre, arrêter là, et définitivement, cette perte de temps. Il n’en apprendra guère plus. “J’ai- une copine et-” Et il pourrait avoir un chien et une jolie maison avec sa jolie clôture faite sur mesure que Mr Rose continuerait de n’en avoir strictement rien à foutre. Le cœur hermétique à ces mouvements d’agonie qui continuent de remuer la carcasse, l’âme insensible au sort de Skye avec e. Skye avec e l’a choisi, ce sort, à la seconde près où il s’est rué sur lui. Skye avec un e, il peut le sentir d’ici, à travers le parfum du sang et de la sueur, est une vie maladroite et sidérée qui n’attend qu’une chose. Qu’on l’achève.
“Elle est à l’hospice.” Winifred, suppose-t-il encore. Vivante, donc. Etrange. Il ne l’aurait jamais parié. Il lui semble avoir croisé sa route il y a plus d’un siècle. Le temps est relatif, après tout, d’autant plus relatif quand on le hante dans ses coulisses. “Elle a pété un fusible et-” Skye avec un e pantèle, prêt à lâcher. Mais il s’accroche, avec une détermination bourrue qui lui rappelle celle des sangliers qu’il chassait. Même égorgés ils continuaient de pousser des cris effrénés en tournant leurs yeux révulsés vers le ciel. Les anges meurent comme ça aussi. “Elle m’a raconté toutes les saloperies qu’vous avez faites et putain- putain j’aurais bien voulu m’en passer parce que les détails merde les détails c’est putain de dégueulasse d’imaginer des vieux niquer.” Un reniflement amusé traverse le nase de Mr Rose. Cette conversation n’a proprement aucun sens. Skye avec un e barbotte dans son propre sang, acculé par ses propres membres, et ses digressions ont la saveur d’un bavardage de fin de repas. “Allons, tu es injuste,” réplique Mr Rose, d’un timbre égal, le calme souligné par cet amusement détaché qui se prête on ne peut mieux à une scène de fin de repas. “Ta grand-mère n’a pas toujours été vieille. C’était une ravissante petite ingénue ; tu as ses yeux, te l’a-t-on déjà dit ?” Il demande mais son regard à lui, mort-vivant et inhumain, se déplace déjà de la gueule abîmée pour contempler le décor de la venelle. Question rhétorique. Intérêt nul.
“Et elle m’a dit que ma mère ma mère ma- elle est pas de papy Ronald et qu’elle était même pas trop désolée parce que ce connard de papy Ronald est mort deux ans après et elle a épousé par derrière mon papy- Papy G, mais en fait c’est Papy Georges et- - Skye, Skye, Skye… tu nous fais perdre du temps à tous les deux. Pourquoi tu m’en veux ? Ne te méprends pas ; il est courant qu’on m’en veuille, je ne suis pas fâché pour ça. Mais j’ai besoin de savoir si c’est quelque chose qui peut être arrangé. - Je sens toujours pas mes pieds ni mes bras mais pour le reste wah- - Skye. - J'ai jamais aussi si bien senti mon corps genre vraiment je sens tout et j’sais pas trop si j’aime ou pas vraiment j’sais pas-” La consternation a gagné le faciès marmoréen, balafré, de Mr Rose. Ses billes infâmes sont retournées contempler le masque de douleur craquant sous lui, absorbant avec une curiosité malsaine le délire ravagé dans lequel flotte Skye avec un e. Faut-il s’écœurer à un point extrême pour voir en la douleur la seule attention dont mérite son corps. Mr Rose ne repense pas à ses quarante années d’emprisonnement souterrain - mais il y pense quand même. Ses yeux retrouvent dans les déchiquètements cutanés de Skye avec un e la texture qu’avait sa peau ; dans la crispation durcie de ses doigts la rigidité qu’avait sa posture ; dans les souffles erratiques et bourgeonnés de bulles carmines le mutisme auquel il était contraint. Il hoche discrètement la tête.
“Ma mère elle est- Ma mère elle est morte quand j’avais quinze ans parce que j’ai pas réussi, -j’ai pas réussi à la sortir des décombres.” Mr Rose se fige. S’il est possible que Mr Rose se fige davantage encore. Sa mère ; sa fille. Engloutie quand lui s’arrachait aux démolitions d’une ville dévastée. Condamnée quand lui se libérait. Il y a, sur les rides lisses et peu expressives de Mr Rose, un début de surprise ; une surprise confondue, qui peine à s’exprimer autrement qu’en un sempiternel haussement de sourcil, et la contracture sentie, quasi palpable, de sa nuque, prise en étau par la main du destin. Cruelle petite enflure. Pire que lui. “J’t’ai-” Mr Rose n’entend pas cette confusion des genres. Mr Rose est resté dans les décombres, marchant au milieu des débris pour voir à quoi ressemble sa fille. “J’vous ai vu faire des trucs là-bas, pas loin d’où elle est encore enterrée.” Le regard mort-vivant reste figé sur le macadam humide signant l’horizon de la venelle, écoutant presque trop distraitement les sifflements de ses serpents, et ceux de Skye avec un e. Son petit fils. Peut-être. Peut-être…
“Monsieur Rose, pourquoi vous niquez des vieilles pour créer d’autres monstres.” Et Mr Rose de tiquer, percuté dans sa morne rêverie où les branches de sa lignée sont disloquées sous gravats. Il ramène de nouveau son attention vers Skye avec un e et très proche d’être tué. Un long échange de regards, pendant lequel il capture la lueur vitreuse des yeux bleus du garçon sous laquelle ont éclaté des corolles rouge sang. Il faut parfois un tas de viande et d’os et de nerfs pour vous ramener à la réalité brutale de votre existence, un tas de viande et d’os et de nerfs pourvu d’une paire d’yeux malencontreusement héritée de grand-mère Winifred. Sa fille, si c’était bien sa fille, avait-elle les mêmes billes ? Il se le demande. Avec tout l’intérêt du monde ; tout l’intérêt qu’un fléau comme lui est capable de démontrer. “On fait tous des erreurs Skye.” Des erreurs comme lui, tas de viande et d’os et de nerfs, qui se diluent dans les gènes et le temps pour revenir vous hanter, traces de foutre qui n’ont pas le moindre intérêt sinon lui rappeler que rien de bon ne peut sortir de lui. Des monstres. Des monstres ; il sourit. Un sourire pareil à une lame. Tout se répète. Skye avec un e pourrait être son père et ses questions écœurées. Skye avec un e pourrait être la plèbe qui l’a lynché. Skye avec un e pourrait être Captain Lion. Skye avec un e pourrait être lui, chaque fois qu’il se regarde dans un miroir.
Foutu Skye avec un e.
Mr Rose se relève. Les semelles de ses chaussures cirées flottent un instant dans la mare de sang. Il ne sourit plus et sa gueule est celle de l’horreur ennuyée et lasse. “Tu te vois comme un monstre Skye ? Tu as honte ?” Voix de velours. “Tu veux mourir ?” Ses questions rhétoriques, encore. Un haussement d’épaule. “Eh bien meurs mon garçon.” Magnanimité épouvantable. Il porte bien assez de fardeaux sur son échine, il n’a pas besoin que Skye avec un e lui en rajoute une couche ; pas besoin, pas le temps, oh, jamais, le temps, fuite en avant pour éviter de se retourner. “Je te les laisse,” les serpents, “ils te tiendront compagnie. Tout le monde n’a pas ce luxe.” Crever accompagné. Vivre accompagné. La solitude plus insoutenable, bruyante et pétrifiante encore qu’une agonie de quelques minutes. La paralysie a déjà commencé chez sa victime, il peut le voir d’ici, tant le corps estropié bouge de moins en moins ; bientôt les reins, et puis la rate, jusqu’à ce que le cœur lâche définitivement.
“Si tu veux abréger ta souffrance, dis-le moi,” précise-t-il, s’éloignant pourtant déjà. Le serpent à la droite de Skye, dressé au-dessus de lui comme un cobra, le fixe de ses billes noires. “J’entends toujours tout.” La langue bifide siffle, à peine plus aigüe que la négligence de Mr Rose. Le noir ravale son maître, qui tranquillement ramène ses écouteurs pendouillants à lui. Cliquetis de plastique. Et puis plus rien. Le venin fait son effet, se répand dans le corps polytraumatisé, fige les membres, trompe les sens, tétanise les nerfs, et peu à peu, la nausée vient, se complique à mesure que le cerveau comprend qu’un à un, les organes lâchent en effet. Le serpents restent là, l’un enroulé sur le poitrail moite, heureux de son accomplissement, serein de disparaître bientôt, l’autre encore dressé, toujours dressé, au-dessus de Skye comme la Mort attentive. Attentive et en attente, qu’un mot, ou un geignement, lui supplie d’accélérer le processus.
A l'aube de son vrai trépas, pourtant, des bruits de pas dérangent les parages. Au nombre de deux, lourds pour les uns, nerveux pour les autres. Voix de rogommes que des bruits de métal assourdissent. L’une des présences s’approche, dégage le col humide de Skye et y plante un pistolet à seringue. Sensation de chaud qui se répand dans le corps glacial. L’autre termine d’installer l’objet ; un lourd générateur électrique qui soulève un peu de poussière quand il est bazardé sans douceur sur le macadam de la venelle à côté de la carcasse. Les voix échangent des mots, là étonnés, là moqueurs, et l’une d’elles de préciser. “Y ‘paraît qu’t’as des piles à r’charger ducon.” Les semelles frottent le sol en repartant, traînantes comme peuvent l’être les semelles des crevures qui peuplent l’underground et côtoient Mr Rose.
(#) Sam 28 Oct - 18:12
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Pupilles dilatées et figées sur le faciès au-dessus de lui. Il observe et il cherche encore et il cherche toujours, des réponses qui ne viennent pas. Puisqu’il ne pose aucune question, pour une fois. Puisqu’il n’a pas le temps, puisqu’il n’est apte qu’à suivre le cours de ses pensées en flots de lave. Skye dégueule ses conneries sans même s’en rendre compte. Ses mâchoires ouvertes sur des pans de sa mémoire qui brûle. Il oublie des bouts et reparaît à la surface et replonge et tout s’efface et le noir de la nuit pas si noire le contraint à plisser les yeux.
Skye cherche ses réponses, putain. Il les cherche comme une calamité cherche à bousiller ce qu’il reste d’humanité, en lui. Skye cherche une ressemblance qui sache le percuter qui sache lui révéler l’horreur en désastre. Mais il ne voit que du trouble. Le clair-obscur de la ruelle et les cris des sirènes déclenchées lui brouillant les perceptions. Son bordel. Son merveilleux bordel lui sectionnant les terminaisons nerveuses. Et à chaque seconde ajoutée à la suivante, le brouillard durcit ; son monde vire à l’opaque. Le visage de Monsieur Rose devenu vaporeux. Seules les couleurs persistent et s’enfoncent de sa rétine flinguée à son cortex marmelade. Skye a tellement froid qu’il n’arrive pas à desserrer les dents et japper. La morsure de la douleur en douleurs relâchée ; assez pour lui offrir du répit. Un peu de paix. Cette paix que Monsieur Rose asperge d’acide sulfurique.
Monsieur rose parle, et sa voix est si loin et si proche que Skye s’agite de nouveau. Des soubresauts confus, une envie stupide et impossible de fuir, s’enfuir, disparaître ; queue entre les pattes et babines baveuses d’hémoglobine. “On fait tous des erreurs Skye.” Et il sourit sans sourire. Et il pourrait éclater de rire et vomir une insulte, s’il n’avait pas si froid et s’il n’était pas si fatigué. Skye continue de lorgner le blanc du visage qui n’est plus un visage mais seulement un ovale étiré sur fond anthracite.
Il en fait tellement, des erreurs. Skye ne saurait pas les dénombrer, les lister, et demander pardon. Et à quoi bon. Son existence est une suite d’erreurs. Et Skye n’arrive plus à se rappeler, désormais, quand est-ce que tout a commencé. Skye ne réussit pas à remonter le temps. Skye ne conçoit que la dernière erreur - celle-ci même qui lui coûte la vie. Parce qu’il n’a jamais eu aussi froid et ne s’est jamais senti aussi seul et aussi calme. Et si la solitude lui est familière et si le froid ne lui est pas inconnu ; le calme, ça, ne fait pas partie de sa vie. Pas ce calme-là. Pas cet apaisement imposé qu’il reçoit, qu’il accepte ; non. Tout est faux. Ce calme-là l’écrase. Ce calme-là, Skye n’arrive même pas à le combattre. Skye n’arrive plus à lutter car autour de lui, tout a été bouffé. Il ne reste rien. Même les sirènes des alarmes ont arrêté de beugler. Du silence et du calme, partout.
Et il suffit d’un battement de paupières - tellement lent, tellement mou - pour que la masse de Monsieur Rose s’envole et l’aveugle. Le regard bleu veiné éclaté inondé de rouge devient fente. Souffle erratique quoique devenu discret. Skye flirte avec les Cieux ; flirte avec les anges et flirte avec Dieu.
Et il n’envisage pas une putain de seconde qu’il puisse crever - Skye est un menteur qui se ment à lui-même avec férocité. Car il le désire chaque fois trop fort - sinon pourquoi agir comme un clébard dingue, sinon pourquoi se vautrer toujours plus profondément dans l’underground, sinon pourquoi ambitionner ouvrir en deux Monsieur Rose. “Tu te vois comme un monstre Skye ? Tu as honte ?” Et Skye bat des paupières, encore. Et Skye a la bouche scellée sur sa réponse. Les molaires grincent de trop comprimer la mandibule. “Tu veux mourir ?” Skye n’a pas encore fêté ses trente-six ans, se rappelle-t-il. Il y était presque. Seulement deux mois, deux petits mois, pour achever une année supplémentaire. Comment a-t-il fait pour survivre jusque là. Skye n’en a aucune foutue idée. Et peut-être que tout est écrit, fatalement. Que le Destin existe à défaut de Dieu. “Eh bien meurs mon garçon.” Et peut-être que lorsqu’on sort des couilles de quelqu’un, ce quelqu’un obtient tous les droits ; celui de laisser aller et venir, celui de laisser respirer ou non, celui de détruire. Père absent sur la trame de sa vie. Monsieur Rose en rescapé des massacres du temps, Monsieur Rose comme un mensonge devenu réalité, comme un tyran tenant les ficelles de son existence merdique.
Sur ses trente-cinq années ; interminables et désespérées, Skye sait n’avoir rien accompli. Alors, Monsieur Rose peut bien le détruire ou l’empêcher d’aller et venir ou l’empêcher de respirer. Monsieur Rose peut l’effacer. Skye n’a servi à rien. Rien qui puisse prodiguer de la fierté à son oncle ou sa tante ou même ses neveux et sa nièce. Et Skye indiffère Mamie Wini puisque Mamie Wini est complètement cinglée. Et Skye indiffère Papy G puisque Papy G n’aime pas les flics ni les militaires ni rien hormis la pêche et son chien Max.
“Je te les laisse,” dit Monsieur Rose. Et Skye ne capte pas. Skye délire. “Ils te tiendront compagnie. Tout le monde n’a pas ce luxe.”
Skye imagine qu’il devrait être reconnaissant, qu’il devrait dire merci. Mais il n’arrive toujours pas à ouvrir la bouche. Ses maxillaires sont au supplice. Alors, Skye repart dans la contemplation du ciel sans ciel. Skye recommence à énumérer les êtres auxquels il est susceptible de manquer. Ils ne sont pas nombreux. Il reste. Il reste Elvira, peut-être. Il n’est plus sûr de rien depuis trop longtemps maintenant. Et il sait qu’elle trouvera quelqu’un car c’est ce qu’elle doit et sait faire de mieux. Quelqu’un qui la rendra heureuse vraiment heureuse. Pas quelqu’un qui ne sait que détruire et gueuler. Peut-être même qu’Elvira retournera avec ce gros connard de merde avec lequel elle a tant de points communs qui l’a font s'épanouir. Skye est en colère c’est vrai putain qu’il est en colère mais la colère s’efface, elle aussi, comme le reste. Parce que le calme lui écrabouille tout instinct de rébellion. “Si tu veux abréger ta souffrance, dis-le moi,” continue la voix proche et lointaine. La voix fantôme.
Et Skye pense qu’il pourrait trouver dans l’inconsistant, dans l’évaporation qu’il subit, Penelope. Parce que Penelope n’existe pas vraiment ou seulement pour lui et Penelope avec les autres Penelope pour ce qu’il en a compris. Putain non il n’a jamais rien compris car il s’en branle car ne compte que Penelope sa Penelope qu’il aime niquer contre la table.
Ca le rassure, absurdement. Car à cette minute il se sent seul mais aussi terrifié. Il se questionne, encore. Encore putain. Et encore. Et il s’angoisse, presque aussitôt : est-ce que mourir fait le même effet que lorsqu’il efface Penelope du réel sans le faire exprès. Est-ce que lorsqu’on meurt, c’est comme une déchirure qui déchire la réalité et suffoque et gomme le corps dans un mélange de peur et de douleur et de colère et de dégoût de soi et de l’autre. Skye ne veut pas retrouver la peur ni la douleur et encore moins la colère. Le dégoût ne le quitte jamais. Skye veut pouvoir garder contre lui et en lui le calme qui le consume et l’enveloppe.
“J’entends toujours tout.” Déclare Monsieur Rose, quand lui n’entend plus rien du tout.
Skye se demande quel âge à l’enflure gravée dans son encéphale. Monsieur Rose en impression 2D à l'encre coquelicot. Skye se demande si sa mort comptera un peu, ou s’il n’est qu’un cadavre ajouté à la liste des cadavres que doit se trimbaler sur le râble Monsieur Rose. Il sait la réponse. Si Monsieur Rose avait dégobillé son rouge sur ses battoirs et sur le sol, Skye n’en aurait pas retiré une grande réussite. Monsieur Rose comme une tache existentielle enfin lavée à l’eau de javel ; Monsieur Rose comme l’achèvement d’une tâche nécessaire.
Peut-être que l’indifférence meurtrière est une tare génétique.
Désormais Skye ne sent plus ses pieds ni ses jambes ni ses bras-compagnons qui n’en sont pas vraiment. Skye ne sent même plus ses joues et Skye ne sent à la vérité plus grand-chose tant et si bien qu’il se pisse dessus. Un mélange d’urine et de sang pour dégueulasser davantage le bitume du Bronx et lui ruiner définitivement le futal.
Ce qui se passe ensuite est un grand cortège de mouvements et de sensations lui échappant. Devenu sourd et quasiment aveugle, Skye tourne en boucle sur ses questions en questions qui n’auront pas de réponses. Sur ses angoisses sans angoisse car il n’est plus apte à rien si ce n’est subir le calme et le froid qui lui congèlent le cerveau.
Mais le Destin est un enculé. Et l’aiguille en pieu qu’on lui enfonce dans la gorge le réveille instantanément. La douleur revient des tréfonds de son organisme autant que les perceptions. Son incendie repart. Skye desserre les dents pour vagir un râle énorme et monocorde de mort qu’on ranime. A son tympan droit d’exploser sous la parole larguée par il ne sait quel trou du cul à proximité : “Y ‘paraît qu’t’as des piles à r’charger ducon,” et le bruit de ferraille résonne et résonne et se coince dans sa tête et ripe sur les parois de sa boite crânienne et crisse dans les ravines de sa cervelle et secoue ses nerfs et bousille le peu de sanité récupérée.
Les paupières se ferment, se compressent ; ses orbes implorent la pitié. Et la douleur sur la douleur se rajoute à la douleur et tout revient et tout remonte et lui s’étouffe dans les remugles de son tombeau de chair qui ne lâche pas son âme. Qui s’y accroche comme un putain de pitbull sur la branche verte et vivace d’un arbre gigantesque. Suspendu dans les airs à tendre tous les muscles, à raidir tous ses membres, sans jamais rendre une saloperie de centimètre ; quitte à tout péter quitte à tout arracher quitte à avaler l’aigreur de la sève.
Skye pompe ce foutu générateur à côté de lui. Skye absorbe Skye bouffe Skye se nourrit sans plus vouloir se nourrir car Skye a la gerbe ; mais Skye bâfre les flux, vide avec lenteur l’appareil, recharge ses batteries internes, sans n’y rien comprendre, jamais ; hormis qu’on se fout de sa gueule purement et simplement. Des rires pour ponctuer son agonie. Et sa rage remonte. Le générateur rallume sa colère aussi surement qu’il rallume sa conscience.
Skye force sur son buste qu’il redresse. Skye force sur ses jambes qui lui font rauquer un cri en gémissement en pleurs puis en gémissement et cri de nouveau. Skye contracte son bide à défaut de pouvoir se servir de ses bras qui lui sifflent devant la tronche et qui le menacent - menacent de quoi et pour quoi et comment et Skye retombe presque aussi sec en arrière. Et il recommence. Furieux et buté. Parce qu’il voudrait démolir les têtes de cons qui s’éloignent et continuent de se marrer et- Et Skye perd connaissance.
Il ignore combien de temps il a pioncé. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il respire et qu’il a une migraine à se taper le front contre la brique sans vouloir se taper le front contre la brique car la brique lui fait mal même à trois mètres de distance - le souvenir tenace vivifié par le sommeil et son organisme-gouffre. Skye sent ses moindres vibrations et que ça tire et que ça crame et que tout n’est qu’une douleur sur une douleur et- Et il ne sent toujours pas ses bras. Skye panique, brièvement, vrille sa gueule esquintée mais plus si ravagée, pour observer l’inobservable. Les deux serpents continuent de se prélasser sur son corps. Alors, il gémit et grogne et lâche un tas d’insanités et ce qui devait arriver depuis le début n’arrive que maintenant.
Skye se tord, écrase avec rapidité un des serpents sous lui. L’étouffe, le coince, le tue quand l’autre tente de lui choper pommette ou nez. Et Skye happe entre ses dents la tête rectangulaire avant qu’elle ne claque les crochets dans sa chair. Skye mord. Skye mord à vouloir déchiqueter détruire pulvériser le cartilage et les os, déchirer la barbaque pour se libérer de la menace latente. Et c’est ce qu’il fait. Sans penser une seule seconde aux conséquences car les conséquences sont absentes car il sait qu’il n’a plus de bras ni de mains ; car il sait qu’il est devenu un putain de manchot, un putain d’homme-tronc ; qu'il n’a plus qu’à aller se pointer dans des réunions pour handicapés en plus de ses réunions de paroles de gestion de la colère colère oh putain qu'il est en colère ; et donner sa démission à CERBER. Skye percute qu’il ne pourra même plus doigter qui que ce soit ni même se branler ni même enfoncer ses phalanges dans de la glace à la vanille de chez Mcdo - Skye ne pourra plus faire ce qu’il préfère par-dessus tout dans la vie. Alors Skye pleure. Il pleure vraiment, pour de vrai. Skye craque. Ses nerfs lâchent. Et Skye mord encore et serre plus fort. Skye arrache un morceau de la tête du serpent n’ayant pas parvenu à lui planter ses crochets de merde dans sa joue blessée et hirsute et sale ; et sous lui Skye sent le second continuer à s’agiter nerveusement - mais la nervosité s’étiole sous son poids jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien, encore et toujours, que lui au milieu de sa solitude et son carnage.
Skye attend, pour être sûr. Skye attend vingt minutes, sans bouger. Et puis il retourne sur le dos et respire et ne sent plus ses bras mais ses bras il ne les sentait déjà plus avant. Des douleurs dans l’épine dorsale autant que dans les épaules et aux genoux. Qu’importe. Il est seul et personne ne vient le faire chier. Personne ne s’est approché personne n’a essayé de le toucher de lui larguer une parole de chiasse personne pour lui demander s’il a besoin d’aide - l’avantage du Bronx c’est que personne n’en a jamais rien à foutre de personne. Hormis lorsqu’on est mort vraiment mort et qu’il suffit de désaper le mort vraiment mort qui ne risque pas de vous arracher un bout de figure dans la violence d’un réveil inopportun. Les charognards du coin sont prudents, et à raison.
Skye reste allongé dans son sang sa pisse et il ne sait quoi d’autre pendant- Pendant tellement longtemps qu’il se rendort à moitié. Et lorsqu’il se réveille enfin, pour de bon, et lorsqu’il finit de grailler ce qu’il doit grailler de flux et reflux et ondées des vestiges du monde qui l’entoure, il constate qu’il a retrouvé ses bras ; il constate qu’il sent ses bras. il constate que les serpents morts sont ses bras brisés qui ne le sont plus. Et il ne devrait plus ressentir de douleur il ne devrait plus ressentir que les démangeaisons et les courbatures et les tensions musculaires et les nœuds et résidus de son enfer traversé ; mais il sent putain qu’il sent, la douleur qui lui arrache un nouveau cri en gémissement en chiale qu’il retient entre ses ratiches. Qu’il ravale dans sa trachée gonflée. Sa main gauche, Skye la lève devant ses prunelles vitreuses, explosées ; et Skye constate. Constate que la tête du serpent n’était finalement pas tout à fait une tête mais surtout ses phalanges. Et Skye constate sans un son sans plus une seule pensée sans plus que du vide entre les deux oreilles, que son auriculaire et son annulaire ne sont plus là. Ou plus vraiment là. Ou plus- Que son auriculaire n’est plus là et que son annulaire est encore là ou pas vraiment là ou presque là ; une unique phalange et même pas entière ; la plus proche de sa main défoncée, rescapée de sa boucherie dont il garde la saveur sur la langue.
Skye bloque. Skye est livide. Skye se relève tel un automate et Skye doit oui il doit rentrer chez lui ; il doit retourner à son appartement et puis- Et puis quoi. Et regarder les informations et la météo afin de savoir quel temps il fera demain. Afin de savoir s’il va pleuvoir et putain qu’il s’en fout mais à cette seconde en minute en éternité savoir si demain il y aura de la pluie est d’une importance capitale. Savoir si demain les gens vont avoir la morve au nez et les cheveux aplatis et moches et la face crayeuse et maussade et les fringues trempés ; tout ça revêt une dimension vitale. Skye doit rentrer chez lui. Skye doit retourner- Skye doit remonter à la surface.
Skye est un cadavre revenu d’entre les morts ; un mort pas encore ou pas vraiment ou presque vivant échappé miraculeusement des décombres de New York, pour la deuxième fois.
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