losing control (loterie du rp #3)

Je m’étais dit que sortir de chez moi ce weekend ne serait pas une mauvaise idée, simplement pour ne pas rester à tourner en rond chez moi en ressassant sans arrêt. Les enfants avaient décidé de partir chacun de leur côté, sortir avec des amis. J’avais l’impression qu’ils avaient grandi à une telle vitesse… ils n’avaient plus besoin de moi depuis longtemps, faisant chacun leur vie de leur côté. Il allait falloir que je me fasse une raison. Les oiseaux ne tarderaient pas à quitter le nid pour voler de leurs propres ailes, désormais.

Le Serendipity Garden offrait un écrin de nature improbable au milieu de la ville qui ne dormait jamais. On se sentait transporté ailleurs, durant quelques heures. Aujourd’hui, les lieux étaient bondés, de couples et de familles. Je croisai également quelques coureurs, mais personne ne s’arrêtait trop longtemps. Les températures avaient commencé à chuter. Chacun profitait avant tout de la vue des arbres se colorant de rouge et d’or à l’automne. Le charme de ces lieux serait bientôt bien plus épuré, avec la survenue de l’hiver.

Je remontai une allée bordée d’érables rouges quand quelqu’un me percuta avec force. Je n’eus même pas le temps de l’invectiver, que la personne repartit sans mot dire… avec un regard incroyablement effrayé qui me força à me retourner. Moi qui avais espéré une simple promenade tranquille, je m’étais attendu à tout sauf à ça. Une alarme s’était déclenchée, comme un sinistre présage. Des cris se faisaient entendre, bientôt relayés par d’autres. J’avais subitement l’impression d’être un rocher qui tentait de résister à une marée humaine, alors que des dizaines de personnes paniquées affluaient dans ma direction. Je les repoussai tant bien que mal pour tenter de comprendre ce qui se passait. L’agent de CERBER en moi ne pouvait pas se contenter de fuir la menace sans parvenir à la comprendre.

Puis mon regard descendit sur une petite silhouette perdue en plein cœur du tumulte. Juste une enfant, perdue et paniquée. « Et merde… » Je ne savais pas ce qui se passait, mais je ne pouvais pas la laisser se faire piétiner par des personnes qui avaient perdu l’esprit. Je repoussai plusieurs corps, avant de me rendre compte que de lutter contre le courant était peine perdu. Je n’arriverais pas à temps, sauf si je déployai mes ailes… ce que je finis par faire, contraint et forcé, au risque de pousser les plus proches à terre.

Je bondis à pleine puissance, avec une vue subitement imprenable sur la scène qui se jouait en contrebas. J’atterris à côté d’elle, ce qui la força à relever le regard. « Hey… je suis là. N’aies pas peur. » Mes ailes métalliques se refermèrent autour de l’enfant pour la protéger partiellement. Je posai une main rassurante sur son épaule, avant d’aviser si d’autres étaient actuellement en difficulté. Où étaient ses parents ?

L’enfant se figea sous le coup de la surprise quand elle me vit débarquer, avant de se remettre à pleurer à nouveau à chaudes larmes. « Maman… » Qui appelait-elle exactement, en tendant une main désespérée vers moi ? Je la ramenai dans mon sillage, à l’abri de mes ailes métalliques qui servaient actuellement de bouclier d’acier. En tant que membre de CERBER, ce type de situation m’était tristement habituel. Et je savais également à quel point un mouvement de foule pouvait être dévastateur… Parfois, il suffisait uniquement d’un coup de feu ou de ce qui y ressemblait vaguement. L’alarme stridente qui résonnait au lointain, depuis le haut barrage, sonnait comme un glas bien plus terrifiant encore. C’était impossible que celui-ci s’effondre, n’est-ce pas ? J’avais déjà des scénarios catastrophes plein la tête, comme tant de gens autour de nous, mais la froideur de la machine me rappela bien vite à l’ordre. Les probabilités que le barrage s’effondre sont de l’ordre de 0,02%. La voix de l’intelligence artificielle, dans un coin de ma tête, n’avait jamais l’air rassurante ni alarmante. Il fallait surtout retenir que le faucon-robot ne supportait pas les certitudes. Il m’en donnait pourtant une : un pourcentage si faible signifiait bien que l’effondrement du barrage était simplement impossible.

L’effleurement d’une main, bien loin des bousculades que je subissais déjà, me sortit aussitôt de mes réflexions. Une femme s’était approchée de nous, en sens inverse du reste de la foule. « C’est votre fille ? » Lui demandai-je sans détour. Mais déjà, elle se détournait de nous, avec la ferme intention de trouver abri ailleurs… sauf que c’était peine perdue. Si je n’arrivais pas à bouger de là, il y avait peu de chances qu’elle s’en sorte mieux. La fillette cria en se réfugiant sous mon bras, lorsque la jeune femme se retrouva projetée en arrière. L’une de mes ailes encaissa le choc, sûrement bien mieux qu’elle… ballotée et écorchée, elle s’effondra avant même que je ne puisse lui tendre une main secourable. « Ça va ? » Non, visiblement pas. Elle restait encore assez en forme pour protester vivement. J’encaissai un choc dans le dos sans rien dire, manquant d’être déséquilibré sur elle à mon tour.

Je tiquai à voir une jambe robotique se dessiner sous le revêtement de peau humaine, subitement bien plus proche d’elle. Malgré ses préoccupations purement égocentriques, j’eus un élan de compassion pour cette femme mutilée au même titre que moi. Ce fut sûrement ce qui m’incita à l’attraper sans ménagement de mon bras libre, pourtant au métal froid et peu engageant. Elle n’en prendrait sûrement pas ombrage. « On doit se tirer de là ! » Me contentai-je de répondre, par-dessus le tumulte ambiant. La fillette ne cessait pas de pleurer, mais ses pleurs me paraissaient presque silencieux en comparaison des cris alarmés autour de nous. Et s’il n’y avait que ça… je me fis bousculer à nouveau à deux reprises, avant de me décider pour de bon.

J’avais deux poids plumes sous chaque bras, ce qui pouvait me permettre de décoller en toute sécurité. « Ecartez-vous de moi ! » Tentai-je, en vain, de prévenir ceux qui se pressaient autour de moi. Je les déployai sans autre forme d’avertissement, renversant certains sur mon passage dans des cris de protestation lorsque je pris mon envol.

Je décollai de quelques mètres du sol, presque à hauteur de la cime des plus hauts arbres du parc. D’ici, il était plus facile de visualiser l’agitation en bas et celle au niveau du barrage… mais on se sentait curieusement détaché de leurs préoccupations immédiates. La fillette hurla en se cramponnant davantage à moi. Je m’inclinai sur le côté, déséquilibré par le poids de la femme, sur laquelle ma prise était bien moins assurée. Il fallait que je puisse les déposer rapidement en sécurité.

Je repérai le haut du bâtiment le plus proche, sans avoir bien le temps de l’identifier. Son toit plat me suffisait pour l’instant. Je déposai l’une et l’autre avec bien moins de délicatesse que je l’aurais voulu, avant de me poser à mon tour. Les ailes encore déployées, je revins vers elles en quelques foulées rapides. « Je vais vous faire regagner le sol dès que la situation sera plus sous contrôle. » Leur affirmai-je. Sauf que si l’altérée pouvait s’en contenter, la fillette répéta entre deux sanglots : « Maman… ma… maman ! » Où pouvait-elle bien être, si ce n’était pas celle à mes côtés ?