love, death, siblings (rotis)

Le charme de la bâtisse est indéniable, Curtis peut dire d'un coup d'oeil que la vieille personne qui y a vécu et y est peut-être morte (il n'a pas tous les détails) prenait soin de ce qui a du être l'investissement de sa vie. Elle fait même tâche au milieu de New Blossom, tout droit sortie d'une carte postale, un écrin vintage de verdure qui aurait survécu à la catastrophe. Il est heureux pour Robin, c'est un bel endroit, et iel mérite d'avoir de belles choses dans sa vie.

« Bon, alors. C'est ça ta baraque ? Il retire ses lunettes de soleil, confiant en compagnie de son adelphe et allonge ses pas dans la cuisine où il ne peut pas s'empêcher de vérifier que les placards soient bien remplis. C'est bien, j'aime bien. On pourra faire de belles fêtes. »  L'atmosphère est agréable également. Si le spectre de la défunte hante ces lieux, elle n'a pas tapageuse.  Il reste encore quelques travaux à faire pour remettre les murs au goût du jour, naturellement. Pas mal, dans l'ensemble. C'est ce genre de maison qu'il veut plus tard, bien qu'il vise un tout autre quartier. Un rêve qu'il entretient timidement. Un rêve dont il ne rêve pas trop, puisque les rêves ne mènent jamais à grand chose si ce n'est un réveil douloureux. Il préfère se dire que les dernières semaines n'appartiennent ni à cette catégorie, ni à celles des cauchemars. C'est la vie.

La sienne de vie, tourne autour de quelques meurtres (accidentels, ou non) et deux hommes amateurs de sensations fortes qui apprécient sa compagnie. Pour eux, les choses sont simples. Ils s'aiment et ne sont pas contre sa compagnie (ils flirtent). Il ne nie pas l'attirance qu'il ressent, elle est limpide et physique. Pour le reste, il ne pense pas avoir les mots pour le décrire. Alors peut-être est-ce l'amour. Peut-être pas. Est-ce important d'avoir la réponse ? Pour lui, oui. C'est devenu important. « Tu vois quelqu'un en ce moment Robin ? Curtis demande sans accuser, en s'adossant à l'encadrement de la porte. Il aime écouter son adelphe lui raconter tout un tas de choses, le flot incessant et vivant de ses paroles dont il s'abreuve. Il sait qu'il peut lui faire part de son trouble. Robin peut comprendre. Iel comprend tout car son coeur est grand.

La chambre il refuse, parce qu'il ne se voit pas vivre en colloc et supporter des inconnus. Il peut supporter Robin, parce que c'est son adelphe, en revanche s'il doit tous les matins se lever avec l'envie morbide de jeter une personne du toit parce qu'elle n'est pas foutue de se la fermer, c'est niet. Déjà difficile de supporter un voisinage. Il a cette image cliché d'un évier rempli de vaisselle sale, un frigo plein de viande et des commentaires stupides sur son régime alimentaire. Il se voit au fourneau, forcé de nourrir d'autres bouches que la sienne ou celles de son sang - ou celles des White, mais c'est tout comme. Quel enfer. Voilà la vision parfaite de son enfer personnel, une maison remplie de vie et tout autant de personnalités différentes avec lesquelles il devra jongler. C'est déjà suffisant d'avoir quelques amis, qu'il peine à compter sur les doigts de sa main. « C'est sympa mais non merci, le garage je dis pas non. » Il paye une fortune pour la garder dans un box loin de Crimson Bay, ce serait une bonne alternative tant que personne ne se décide à la prendre et se taper une petite virée dans les airs sans son accord. Le scénario lui paraît peu probable.
De toute façon sa réflexion a réussi à faire taire momentanément Robin, ce qui ne présage rien de bon.

Curtis serre les poings et regrette immédiatement l'excès de zèle qui l'a poussé à se livrer sur un terrain aussi intime. Il a totalement confiance en Robin ; moins confiance en sa propre capacité à verbaliser ce qui se passe. La situation est tant étrange qu'il ne saurait dire exactement ce qui se passe. Il se passe des choses, entre lui et un détective. Entre lui et un voisin agréable à regarder. Entre lui et quelqu'un avec qui il reste des heures au téléphone le soir avant d'aller se coucher.
Robin a l'air de mieux prendre la vague, ça a toujours été le gars. Curtis le connait depuis toujours et il sait qu'iel a cette faculté, cette fluidité, déjà avec son genre et ensuite avec sa sexualité. Curtis peut difficilement contredire les paroles acerbes qui ont déjà circulés sur sa personne, coincé. Robin parle et Curtis essaye de comprendre sans parvenir à saisir l'émotion dont il est question.

Il a été abandonné par certaines personnes qu'il aimait bien. Il en parle rarement parce qu'une part de lui aime s'attribuer la séparation, prétendre que c'est lui qui est parti et non l'inverse. Il se revoit au collègue puis au lycée avant qu'il n'arrête tout. Avec des copains proches qui peu à peu finissaient par s'éloigner parce qu'ils avaient une copine, ou un mec, ou les deux, ou autre chose. Il se passe des choses, pour sur et il savait très bien que ces choses ne le stimulait pas. Il était trop occupé à jouer avec un couteau et a essayer de ne pas se planter dans la main ou jeter des cailloux sur les vitres d'un con de prof. Il les aimait bien pourtant, il pensait aussi que ça voulait dire quelque chose, que leur amitié avait de la valeur.
Puis il a été question d'amour.
Comment pouvait-il rivaliser avec l'amour.

« Il méritait quoi, eh ? Tu veux que je te dise ce que j'en pense ? Tu risques de ne pas apprécier. Curtis n'est pas tendre avec la personne qui a fait du mal aux sentiments de son adelphe et pourrait encore moins l'être. Laisse tomber, soit il avait de la merde dans les yeux, soit il ne savait pas ce qu'il voulait et tu n'as pas besoin de ça. C'est pas toi le problème Robin, il y a des gens qui en dépit d'un grand quotient intellectuel font preuve d'une grande stupidité. Il lui tape l'épaule et vient l'embêter un peu pour ne pas laisser la morosité s'installer, toute forme de tristesse. Parce qu'il était attaché, évidemment et quelque chose a été brisé. Si les autres ont un problèmes avec toi ils sont sensé te le dire. » Normalement, c'est sensé être évident. C'est comme ça qu'on lui a présenté les choses. Puis : les palpitations, les papillons dans le ventre, la sensation de vertige. Des symptômes de crises cardiaques, à croire, mais issue dramatique. Sauf quand les coeurs finissent brisés. L'amour c'est une bombe à retardement qu'on tient à pleine en main et on ne sait pas si elle va péter, ni quand.

Ce serait bien s'il n'était pas nécessaire de communiquer. Les mots ne peuvent pas condenser tout ce que Curtis ressent ; premièrement, il ne ressent pas grand chose. Mettre des mots sur ce trop peu n'est pas possible. Ce serait plus simple si les autres pouvaient décoder ses pensées, comprendre sans qu'il n'ait besoin d'expliquer, qu'à sa manière il s'est attaché. L'attachement porte bien son nom, il sent le poids des chaînes autour de ses poignets, qui l'empêchent d'aller au bout de ses vices car ce qui le retient, il désire le revoir, il sait qu'il devra y retourner. Il aime la douleur des chaînes Aussi tordu que ça l'est, Curtis se dit qu'il les voudrait autour de son cou, partout dans sa tête et il laisse la vision de Clemente et Keith grignoter ce qu'il reste de raisonnable. Ca coupe comme des couteaux et bon dieu qu'il aime la douleur. Même si ça fait un mal de chien. Au moins ça fait quelque chose. Tout le monde est à la recherche de ça.

Et il a de la peine, de savoir que pour Robin ça s'est pas bien fini. Il le retrouverait bien, qui qu'iel soit pour lui faire regretter. Iel prend les choses avec le sourire, parce qu'iel a cette énergie, cette forme de résilience. Robin a cet amour universel des autres qui lui permet autant de bonté. Iel est l'ange et Curtis le démon sur l'épaule opposée. Robin n'est pas non plus un ange, n'est pas pur, n'est pas tout blanc. Pour tous ses vices, il y a des sujets où Curtis est resté, vaguement, pur.

« Comment tu sais quand on te choisi, si les gens le disent pas. S'ils savent pas le dire. » S'il l'avait choisi, Keith lui aurait dit. Point barre. Si c'était aussi simple, il n'aurait pas envie de le revoir. Il ressentirait pas ce manque qui le bouffe comme quand il doit prendre sa dose de red. C'est pire que le red. « Testé quoi ? Il n'a pas besoin de prendre les pincettes avec son adelphe. Ce n'est pas pour Robin qu'il se renferme, c'est pour lui même et cette gêne qu'il ressent quand il pense. Une fois j'ai baisé, c'était pas horrible non plus, c'était pas incroyable. Ca n'a pas duré, comme toutes les bonnes choses tu me diras. Sur le coup, Curtis sait que ce n'est pas rien. Il n'a pas aimé qu'on l'utilise comme ça, même si il est bon qu'à écarter les jambes et laisser la vie le baiser dans tous les sens. Je veux de personne dans ma vie. Je ne sais pas ce que c'est d'aimer, je pense que j'aimerai jamais personne. Il s'est fait larguer au pied du lit, sans petit déjeuner, sans un petit baiser, un câlin pour se dire au revoir. Comme dans la réalité, par comme dans les films. L'autre à prit son corps, mais Curtis s'est assuré qu'on ne puisse pas prendre son coeur. On peut en avoir vraiment envie ? D'être avec quelqu'un ? Genre toi tu l'aurais fait si ça avait marché ? » S'il avait partagé la couche de Keith il n'aurait pas été capable de le laisser au petit matin, il aurait forcément eu envie de plus. C'est pour ça qu'il continue de se droguer, Curtis ne sait pas s'arrêter. Continue d'espérer. Que la prochaine dose soit fatale ou qu'elle fasse de lui un dieu parmi les hommes. Continue de croire qu'il pourra se connecter à l'humanité.

Peut-être que ça fonctionne pas, surement que c'était un enfoiré. Surement qu'il a pas comprit les termes du contrat, les signes. Rien ne sert de se refaire le film. Vivre avec un pied dans le passé c'est vivre avec l'autre dans la tombe.  Curtis veut bien se laisser hanter par les fantômes de ses victimes, il ne peut s’embarrasser avec des regrets. Pourtant il en a un paquet. Les regrets sont accompagnés de pensées. Il est plus difficile de les ignorer. Elles lui font croire tout un tas de chose, il se montre crédule, il finit par se dire qu'il a peut-être raison de tout remettre en question. Robin le sait, iel connaît ses faiblesses. Ses nombreuses questions dont iel seul à la réponse. Heureusement qu'il y a la famille. Iels le comprennent, iels le rassurent. La vie n'est pas sensée avoir d'exigence, les gens en ont et les imposent. Ça ne devrait même pas le toucher. Sauf que les hommes qu'il apprécié s'embrasse et qu'il réalise qu'il voudrait, lui aussi, vivre ça. Et ça lui a traversé l'esprit que dans une autre vie il aurait pu vouloir la totale avec la famille et le boulot bien rangé, qu'ils ne sont pas nombreux à ne pas ressentir cette attraction pour les choses simples. « Je ne supporte plus des me les poser tout seul dans ma tête. » L'émotion gratte la gorge, apporte à sa réponse une souffrance longtemps refoulée. Curtis vient s'assoir.
Et Robin le rassure. Robin le conforte dans ce qu'il sait déjà. Parce qu'au delà des réponses il a surtout besoin d'être rassuré. Tout ce qu'iel pourra lui apporter c'est des clefs pour trouver lui même la solution. Robin ne peut pas faire de miracle et son frère ne lui en demande pas. Être là est suffisant.
« C'est mort de toute façon. Il est avec quelqu'un d'autre. » Même s'il parvenait à verbaliser ce qu'il ressent, ça ne changerait rien au fait qu'il ne pourrait jamais lui appartenir. Ni à l'un, ni à l'autre. Il aurait toujours l'impression d'être en trop, parce qu'il sait qu'on le choisit rarement en premier. Ça a commencé dans la cour d'école et ça a continué longtemps après sans qu'il ne s'en rende pleinement compte. Sans que ça ne soit un problème, comme si l'opinion des autres allait changer quelque chose à sa manière d'être. « Je peux toujours essayer mais je ne suis pas certain qu'il comprendra ce que ça veut dire pour moi. Peut-être que ça ne voudra rien dire pour lui, alors. Et ce sera douloureux. Curtis se met à rire. Un rire cynique. Et tu crois ça, si je te dis que pour la première fois, j'ai peur d'avoir mal ? »

Curtis est attentif aux paroles de Robin et sa sagesse. Robin n'est pas quelqu'un qui va se prendre la tête pour ses relations, il admire cette facilité avec laquelle iel navigue les relations humaines. Curtis ne s'y est jamais fait, en plus d'être, avec les années, devenu totalement imperméable. Une grande incompréhension des sentiments et émotions des autres ne lui permet pas d'engager autant de réflexions que son adelphe. Robin observe. Robin comprend. Robin ressent. Ses très nombreuses expériences lui permettent une liberté qui fait peur à Curtis. Lui qui n'a jamais connu l'amour, le vrai, et doute encore de son existence a déjà peur des blessures qui viennent avec. Peur de sa propre inexpérience et des conséquences qu'elle pourrait avoir, des dégâts qu'il pourrait faire.
Au moins, il y a eu une avancée, Curtis assume désormais que l'étrange sentiment qu'il ressent s'apparente à cette affection dont Robin témoigne ses nombreux partenaires.

« J'ai.. Oh merde. Curtis écarquille les yeux devant l'énormité de ce qu'il va dire. Nan pas besoin de cogner juste... J'ai pas envie de lui faire du mal. » Et c'est à cet instant exact que Curtis répond à l'embrassade et sert fort son adelphe dans ses bras. Rares sont les accolades, Curtis n'apprécie pas d'être touché. Il tolère, fait les gros yeux, peut encore pardonner sa mère qui l'a porté trop longtemps dans son corps pour se priver, il lui appartient. Avec tous les autres, c'est une pudeur. Robin c'est encore différent. Quand il le fait, quand il lae prend dans ses bras, c'est sincère. C'est fort. Curtis ne fait pas semblant et lui donne tout ce qu'il peut donner de tendresse.
C'est peu.
C'est déjà beaucoup.

« Tu as raison, je dois lui dire. Depuis quand ai-je peur des conséquences ? » Et si ça n'aboutit pas, alors. Ce sera tout. « Je t'aime Robin. Curtis saisit son menton entre ses doigts comme il le faisait quand ils étaient plus jeune. Avec Robin, c'est évident. L'amour familial qu'il ressent pour son adelphe est immense. Vrai. Mais ne va pas dire aux autres que je t'ai dit ça. »