Euphorie pure ;; Archibald

Durant tout le trajet jusqu’au restaurant, chaque battement de coeur d’Archibald le poussait à ralentir le rythme, comme pour profiter un peu plus de ce moment aussi privilégié qu’inattendu. Rester aux côtés de monsieur Howarth jusqu’à atteindre les portes d’un endroit où, habituellement, il se rend seul, à quelques pâtés de maisons du motel. Son endroit cosy, sa cantine à lui, partagée, soudainement, merveilleusement. C’était à n’y rien comprendre. Et Archibald pourtant ne peut pas se sentir plus heureux, qu’en passant la porte pour la énième fois en deux ans, accompagné cette fois. Par quelqu’un qui compte.
Quelqu’un qui compte vraiment.

Le petit carillon les accueille ainsi que Stacy, une des serveuses, avec qui il appris à sympathiser. Elle est gentille et pleine de bons conseils, d’anecdotes sur sa vie à New-Blossom, de petites choses ça et là qu’elle partage avec son « client préféré », comme elle aime le rappeler. Alors Archibald sait beaucoup d’éléments sur elle malgré lui, comme sa couleur favorite, son film détesté, ou la raison de sa dernière – et sempiternelle – routine de rupture avec sa petite amie. Avec qui elle se remet en couple le lendemain. Des choses et d’autres que Stacy aurait été ravie de raconter si elle n’avait pas remarquer l’homme qui accompagnait Archibald. Et qu’elle n’avait pas lancé des regards appuyés à son ami mutant, complice et encourageante.
… Bon. Peut-être que lui aussi, il avait partagé une ou deux choses avec elle.
Et peut-être que ces choses concernaient monsieur Howarth.
Peut-être.

Tout en s’asseyant, Archibald ne peut s’empêcher de sourire aux compliments fait au lieu. Ouf, ça veut dire qu’il ne s’est pas trompé en l’emmenant ici. La décoration fait beaucoup, et la cuisine de Paolo, le propriétaire et chef, est succulente. Alors le coeur d’Archibald se remet à tambouriner : serait-il possible que ce dîner se passe bien ?!

« Je suis vraiment content que ça v-vous plaise ! » ne peut-il s’empêcher de jubiler, se sentant d’un coup plus léger. Le remerciement le transporte, l’apaise. « Je sais que… mon régime alimentaire peut être un peu contraignant, mais je peux vous assurer que chaque plat de la carte est délicieux ! Je le sais, parce que… je les ai euh, hem… tous testés. » Il rougit un peu, se rendant compte que sa gourmandise n’était pas un trait de sa personnalité dont monsieur Howarth pouvait se douter. Mais tant pis, il ne pouvait plus faire marche arrière, maintenant.

Heureusement – peut-être ? - le ton de la conversation est dérivé. Par quelque chose de plus intime encore, renforçant immédiatement le rougissement d’Archibald. Son teint neigeux devient lave en fusion, quand il comprend ce dont il retourne.

« V-Vous voulez dire… vous appeler… par votre prénom ?! » Vite, il lui faut de l’eau. Heureusement, Stacy les a rapidement servi. Il tente de calmer les bondissements cardiaques en buvant une gorgée, avant de reprendre. « Je n’oserais jamais ! Vous êtes mon client, vous-- » Mais il se rend bien vite compte qu’il tombe à court d’arguments, ou de volonté de résister. Les yeux bleus l’accrochent.
Il veut vraiment se rapprocher de lui, malgré tout.
Alors… cela demandait un effort.

« B-Bon… je vais essayer... » Un instant et… « Brooks. » Un petit sourire confus apparaît. « C’est… à la fois merveilleux et étrange. Mais… je suis heureux d’être ici, avec vous, moi aussi. »

Le sourire augmente. Le rougissement diminue. Au fur et à mesure, Archibald s’ouvre à ses émotions cachées. Celle qui permettront, peut-être, ce début d’amitié.

Le regard s’attarde partout, absolument partout, dans les moindres détails de la décoration environnante qu’il connait pourtant par cœur, chaque morceau de poster, chaque fissure dans le mur de brique, chaque ride en coin de bouche relevée par les rires des tables avoisinantes.
Partout, sauf dans les yeux de Brooks, qui le désarçonne à la moindre seconde. Brooks. Pas monsieur Howarth. Bel et bien Brooks, dans cette intimité aussi soudaine que profondément plaisante.
Tout aussi désarçonnante.
Tout comme les mots, se bousculant vers lui, le précipitant un peu plus au bord d’un précipice vertigineux où son cœur semble vouloir faire de drôles de loopings.
Archibald n’a jamais ressenti ça ; pour personne.
Pas pour sa mère, ni son ancêtre, ni même pour son meilleur ami.
Il ignore tout de la sensation qui l’étreint à l’instant même où Brooks lui avoue avoir eu envie, souvent, de l’inviter. Partager ce moment. Être ensemble, loin des conventions imposées par le motel, des désidératas du travail et des principes qui en découlent.
Loin de tout ce qui pourrait les retenir de se connaître.
D’en savoir plus, l’un de l’autre.
De passer au-delà des sensations pour quelque chose de plus tangible.

Un frisson secoue la nuque du mutant à cette pensée.
Brooks ne sait rien de lui. Ne vaudrait-il pas mieux… que cela reste ainsi ?

L’idée le noue. Ce serait tout ce qu’il y a de plus raisonnable, et pourtant, ce n’est pas ce qu’Archibald désire. Ce qu’il veut, c’est construire, pas fuir. Construire une vie loin des fondations laissées de l’autre côté de l’océan. Et pour cela, il ne doit pas renoncer aux possibilités qui s’offrent à lui.
Surtout si celles-ci sont aussi charmantes et merveilleuses que peut l’être Brooks.
Charmant et merveilleux…
Voilà une étrange façon de le qualifier. Pourtant, d’après ses déclarations, sa manière de rougir, de poser son verre, de le remercier ; d’être, tout simplement, Archibald sait qu’il ne pourra pas le définir autrement.
Alors, il sourit. Le regarde, enfin. Rougit, aussi. Au moins autant que lui, si ce n’est plus. Beaucoup plus.

« O-Oh. A-Alors, euh, eh bien… » Difficile d’en dire plus sans boire, à son tour, un trait d’eau revigorant pour hydrater les paroles qui savonnent dans sa bouche. « J-Je suis flatté. Et honoré ! Je ne pensais que quelqu'un comme vous pouvait s'intéresser à moi... Et… surtout… moi aussi, je voulais ça. Enfin… je veux dire… vous connaître. Vous m’avez toujours… rendu curieux. »

La curiosité, c’est bel et bien le sentiment qui l’a toujours animé, dans ses bonnes et ses mauvaises décisions de vie. Ça, et l’espoir, constant. Ineffable.

Enfin, après un silence léger, loin d’être inconfortable, le sujet change. La nourriture, à nouveau. Quoi de plus normal, dans un restaurant, après tout ?

« Je peux essayer, bien sûr ! Même si je ne doute pas que vous trouverez quelque chose qui vous plaira ici… »

Archie sourit, attrape les cartes données à leur arrivée par la serveuse. Il sait déjà que son propre choix se portera sur la pastilla aux légumes méditerranéens, mais il est curieux – à nouveau – de ce que Brooks choisira. Et s’il sera un bon guide dans ce voyage culinaire. Et surtout… s’il sera aussi heureux que lui à l’idée d’en découvrir un peu plus.

« Si vous aimez les pâtes, il y a les linguines aux pignons de pain et à la truffe blanche, là, juste ici – » Il se sent obligé de se pencher un peu, de montrer à Brooks, sur son menu à lui, l’illustration du plat. Comme une envie de lui faciliter la tâche, pour qu’il se sente à l’aise.
Mais il se rend compte de la proximité que cela induit, dans un temps indéfiniment long, avant de finir par s’éloigner un peu. Le laisser respirer, et lui-même, retrouver son souffle, retenu par la présence de l’autre homme.

« O-Ou autre chose. Cela dépend de ce dont vous avez… envie. »

Il sourit, à nouveau. Loin de savoir comment calmer son cœur, cependant.

Les battements de coeur persistent de concert, tambourinent si forts qu'Archie n'entend plus son flot de pensées congruentes qui viennent étouffer ses peurs. Tout bourdonne, dans sa poitrine, dans sa tête.
Pourquoi une telle émotion, alors qu'il s'est simplement rapproché pour indiquer un plat sur une carte ?
Pourquoi un tel tourment, quand il ne fait que partager un dîner avec une connaissance agréable, qui souhaite en savoir plus sur lui, en toute innocence ?
Ses mains gantées tremblent à l'idée qu'il puisse être déçu de ce qu'il apprendra. Ou même du plat, pour ce qu'il a choisi, pour ce qu'Archibald a observé lors de l'hésitation de Brooks.
C'est étrange, mais lui aussi semble troublé. Et ça l'interroge alors soudainement, à nouveau, et le bruit des battements couvrent celui des pensées.

Ne s'agit-il que des siens, seulement ?

Le choix de Brooks finit par le ramener sur terre, lui fait esquisser un sourire.

« Oh, c'est la première chose que j'ai mangé quand j'ai découvert cet endroit. C'est un incontournable, j'espère que ça vous plaira ! »

Face à l'intonation solaire de son client, Stacy, postée en figure de proue dans un coin du restaurant, comprend qu'elle peut venir les déranger de la manière la plus subtile qu'il soit. À savoir, accomplir son travail, et prendre les commandes. Avec les conchiglionis et les fameuses linguines, ce sera une autre carafe d'eau et une salade composée à partager, offerte par la maison en guise d'accompagnement. Archibald ne comprend pas, mais Stacy tait la moindre de ses questions avec un clin d'œil appuyé au jeune homme, et un "Je vous apporte tout ça tout de suite !" de circonstance.

Archibald se sent un peu gêné : la soirée est certes exceptionnelle, mais tout de même, elle n'est pas obligée de faire ça. Mais il lui demandera des explications plus tard, pour l'instant, l'important est assis en face de lui.
Et le fait rougir, une nouvelle fois.
Chaque mot de Brooks est comme un nouveau morceau de musique à écouter, pour délier le mystère de ses drôles d'harmonies. Car au fond, il n'en a écouté qu'un fragment, une part de lui venant lui rendre visite au motel, pour le travail, au moins. Et pour le reste, Archibald ne sait rien.
Alors lorsque l'homme établit des conjectures le concernant, le mutant boit à son tour, la carafe descendant plus vite qu'il ne l'aurait cru. « Je l'ignore, je... j'ai toujours été comme ça, je crois. » Il hausse doucement les épaules, remontant au plus loin possible, à ses études, à sa vie sociale, aux enfants de l'orphelinat, et même avant ça. Il se souvient des sourires sincères quand il parvenait à aider, ne serait-ce qu'un peu, qu'il se trouvait une utilité à l'époque où il était encore fier de ses pouvoirs exceptionnels.
Avec une certaine nervosité, le jeune homme tire sur le tissu de ses gants, comme pour les remonter, tique nerveux appliqué. « Je trouve ça juste normal de vouloir faire tout mon possible pour rendre la vie plus facile à ceux qui m'entoure. J'aime... me rendre utile, à ma manière. »

Un petit sourire, bien plus timide. « Vous aussi, vous avez l'air généreux. Comme tout à l'heure, avec l'histoire de cette chambre... » Il y repense, un peu ému. Et tout aussi coloré, un rouge profond sur ses joues blêmes. « C'était vraiment gentil de votre part. »

Un silence, avant d'hésiter, puis poursuivre. « ... Vous allez rester définitivement en ville alors, cette fois ? Votre métier vous le permet ? » Il ne connaissait CERBER que de nom, sans doute pour le meilleur. Un brin d'espoir dans ces questions, comme l'envie de troquer ces entrevues dans le hall du motel pour d'autres lieux plus personnels, lui montrer les merveilles de New-Blossom tout comme il les perçoit au quotidien.
Chaque jour, si c'était possible.

« Si vous avez besoin d'un guide, en tout cas... n'hésitez pas à m'appeler, je fais aussi ça sur mon temps libre ! » Petit rire, à peine voilé. Les ressentis à fleur de peau, Archie ne se rend pas compte que c'est peut-être la première fois, depuis longtemps, qu'il se sent aussi bien avec quelqu'un.

L'incroyable pouvoir de Brooks, à nouveau en action.

Alors qu'il a l'impression que le rouge le consume, qu'il n'arrivera pas à tenir le reste de la soirée sans s'excuser pour fuir aux toilettes et se passer de l'eau sur le visage dans l'espoir de taire son émoi malvenu, Brooks s'apprête à lui révéler quelque chose. Et aussitôt son attention est braquée sur l'homme en face de lui, dont les yeux brillent peut-être un peu plus quand il s'agit d'honnêteté. Ce bleu délavé par l'expérience d'une vie dont Archibald ne connait rien au fond, si ce n'est les bribes qui lui ont permis de s'attendrir à chaque venue. Et de les attendre, une à une, au fur et à mesure des saisons, de les anticiper, et de s'enthousiasmer à chaque fois qu'il passait le pas de la porte du motel.
Malgré lui, toujours malgré lui, et pourtant.
Il ne s'est jamais senti aussi heureux que maintenant.

Alors que les mots glissent et forment les aveux, que Brooks s'ouvre encore plus, peu à peu.
Et c'est un sentiment nouveau qui éclot dans la poitrine du mutant.
Une sensation de chaleur profonde, face à la surprise.
Brooks est ici pour rester.
Pour ne plus repartir.
Et... il voulait retrouver le chemin de son foyer.

Les paroles le désarçonnent, complètement. Et il lui semble qu'au milieu de la chaleur, son coeur manque des battements, avec de reprendre de plus belle.
Une arythmie frénétique, couplée au sentiment grandissant, toujours plus.

« ... Brooks... », souffle-t-il, l'émotion à fleur de lèvres, profondément, intensément touché. Et puis, c'est trop, c'est beaucoup trop pour lui. Elle finit par exploser, cette joie immense, cette douceur mutée en mille et unes couleurs criardes, cette voix peut-être un peu haute qui alerte tout les clients autour d'eux : « ... Ca me fait tellement plaisir !!! »

Archibald se ravise un peu en sentant les regards intrigués qui se tournent vers eux, mais son sourire, large et sincère, ne quitte pas son visage ému. Presque envie de lui saisir les mains dans son euphorie, mais non, il n'osera jamais. Autant babiller tant qu'il le peut !« Vraiment, Brooks, vous n'avez pas idée à quel point je suis heureux pour vous ! Vous avez trouvé votre lieu à vous, un endroit où vous vous sentez bien, c'est tellement rare et précieux ! Vous n'avez pas à avoir honte, au contraire, je vous félicite pour votre honnêteté et d'avoir réussi à mettre des mots sur ce que vous ressentiez ! »

Il le sent, il l'affirme, sa joie est aussi vraie que nature. Savoir que le motel est l'endroit où Brooks avait besoin d'aller pour se sentir mieux le ravit au plus haut point. Si haut, tellement haut qu'il a cette certitude d'avoir atteint le point de non retour, la destination qu'il voulait. Rendre Brooks, Monsieur Howarth, heureux de venir le voir. Enfin, le motel.
Même s'il affirme avoir pensé à lui... Mais... ce n'était que par extension.
Non ?

« Vous avez eu du courage de me le dire... et je vous promets qu'à partir d'aujourd'hui, je ferais tout mon possible pour que cette vie dans cette ville vous paraisse agréable ! Il y a de très belles choses à voir, je vous le jure ! Et... » Oserait-il ? Sans aucune arrière pensée, les siennes glissent pourtant, comme des évidences à ajouter au cercle vertueux des aveux.

Sa voix se fait plus fine, sur le ton de l'intime. Dommage qu'il n'y ait plus de menus pour pouvoir se cacher, mais tant pis : si Brooks a eu le cran de le dire, alors, lui aussi !

« Et je dois vous avouer quelque chose, moi aussi. Je, hum... Je sais que ce n'est pas bien, mais je vous considère comme mon client favori. Parce que vous êtes une des rares personnes à réellement apprécier ce que je fais pour le motel. Et hum... chaque fois que vous repartiez, c'était comme un déchirement pour moi. Je ne savais quand j'allais avoir la chance de vous revoir. Alors... maintenant que vous êtes ici définitivement... Je crois que je vais trouver la ville un plus merveilleuse, moi aussi. »

Son monologue l'essouffle. Ou alors, c'est encore ce fichu rougissement qui reprend, raaah !
Un verre d'eau l'aidera. Il le boit d'une traite, sans vraiment réfléchir, s'étouffe à moitié, en verse un peu sur son pull, mais non, c'est pas vrai !!

« A-Aah, zut... Je n'en rate pas une, moi... ! Désolé ! » Il s'excuse, comme par réflexe, ne sait pas trop pourquoi. La situation est aussi amusante que gauche, peut-être que ça ne fait que rajouter de la nuance à tout ça.
Tout est pourtant teinté d'une douce et tendre vérité.