alas, i think i’m becoming god

(six) “did mommy scare you earlier, baby?” il aperçoit ses cheveux teints, un mélange de blond délavé et de roux agressif, éclats criards qui ne s'accorderont jamais avec le bleu des poches sous ses yeux. elle se dirige vers l'évier corrodé de la salle de bain, ses longues jambes disparaissant derrière un mur. de sa cachette, il peut entendre le jaillissement de l'eau du robinet. des mains affolées en quête de quelque chose dans le tiroir du miroir, renversant au passage un tas de boîtes de médicaments. son cœur s'accélère et il s'enfonce un peu plus dans la grande armoire, au plus loin possible de la petite fente de lumière qui le sépare du reste du monde, ses petites mains enserrées contre ses genoux, comme pour se donner un peu de courage. “mommy was angry, she had a really bad day at work,” dit-elle. il ne comprend pas encore pourquoi elle parle parfois d'elle-même comme d'un sujet lointain. n’en est pas moins effrayé à chacune de ses dépersonnalisations. attentif, il l'imagine contempler son propre reflet dans les carreaux ponctués de tartre, arrangeant son maquillage bon marché. “where are you baby? we’re playing hide and seek? is that what we’re doing?” de l’amusement au bout de la langue. un gloussement s'échappe de sa gorge à l'idée de jouer. elle fut enfant, elle aussi, autrefois. puis des pas mesurés, presque tranquilles, apaisant les saccades parcourant le corps du petit garçon. elle semble aller mieux, aujourd'hui, bien qu’encore un peu triste. “misha?”, une voix tendre, quelque-part entre un râle et un appel à l’aide. “mommy feels alone, won’t you give her a hug?” elle sanglote, et c’est ce qui le pousse à doucement écarter la porte du meuble. il rampe, jusqu’à elle, s’arrête pour l’observer, de grands yeux bruns derrière de longues mèches ébènes et désordonnées. elle est aussi à genoux, s'est débarrassée de ses talons hauts et acérés. elle a l'air si petite et fragile, tout à coup. il rampe à nouveau, trouve la force de se mettre debout, jusqu’à ce que ses petits bras soient tout autour d’elle et sa joue sur son cuir chevelu. elle le serre à son tour. “you don’t like me anymore, do you?” misha ne répond pas, car il sait dorénavant, la nuance entre une requête et un piège. “it’s okay. mommy doesn’t like herself either.”

(thirty) des débris de verre éparpillés sur des carreaux en céramique. “fucking shit,” suivi d’un autre juron, muet cette fois, en balayant les morceaux aiguisés du porte-brosses à dent avec sa main intacte. il passe la paume de l’autre sous l’eau, hisse quand l’eau froide lèche la plaie béante. est en train d’enrouler rudimentairement une serviette autour lorsqu’il entend le gamin pour la première fois. “mom?”, quelque-part dans le couloir, derrière la porte, il décerne des petits pas prudents (ou endormis?). difficile de ne pas ouvrir l’œil après le vacarme qu’il vient de faire. ses doigts sont rapides sur le verrou. un clac sec et violent. quelques secondes plus tard, la poignée descend de quelques centimètres. “mom? are you okay?” tente l’enfant. pas de réponse. la poignée s’agite. le blessé soupire, aggravé par la situation. “... you shouldn’t come in”, il ose, voix stricte et claire. un silence étiré lui répond, pesant comme l’air condensé de la salle de bain. finalement, d’une petite voix, “what did you do to my mom?”

“i didn’t do anything to her.” she did all of this to herself, ne précise-t-il pas, et son dos glisse contre la porte scellée, dorénavant face au rideau de douche dissimulant cette masse immobile, allongée tranquillement dans la baignoire, comme si elle dormait. elle était déjà froide quand il est apparu. l’enfant ne dit plus un mot. misha s’arme de patience. la porte tremble un peu et l’adulte suppose qu’il s'est assis contre elle lui aussi. “are you my dad?”, le gosse demande. “no.” “she said you’d come back”, “told you i ain’t him.” cela semble fonctionner, car l'enfant se renferme sur lui-même à nouveau. il entend le froissement de vêtements, l’imagine recroquevillé contre lui-même, une oreille posée contre son bras. reflet miroir, misha l’imite, de son côté de la porte.

“look,” les mots sortent de sa bouche avant même qu’il n’ait le temps de les peser. “it’s better– that way. it’s better that way, okay?” un hoquet. des spasmes silencieux qui secouent la porte. pas de l'autre côté, non. “it’s gonna be okay, l’right?” tout est si statique, misha a peur que l'enfant soit déjà intégré au mobilier. une âme piégée dans une boîte en carton au milieu de nulle part. que ce serait-il passé si misha n’avait pas voyagé? que le corps était resté là toute la nuit, à pourrir dans l’eau croupie de son bain. le garçon l'aurait-il trouvée au petit matin? figée, effrayante, cadavérique.

“okay.” le son n'est pas très prononcé, mais suffisamment courageux pour sortir misha de ses ruminations. “okay.”, il répète après lui-même.